RENÉ ALLIOT ET MARIE VERSTRAET
- III -
de 1912 à 1938
En 1912, Maurice vient de terminer à son tour l’Ecole Centrale de Paris. Officier de réserve comme son père à l’issue de son service militaire en octobre 1913, il aura peu de temps pour profiter de la vie civile et s’intéresser aux affaires. Il est mobilisé dès le début du mois de juillet 1914. René a 56 ans. Il est dégagé des obligations que lui imposait son statut d’officier de réserve. Il est par contre responsable d’un secteur industriel, celui des transmissions, très important en temps de guerre. Maurice, continuant la rédaction du "CV" paternel (1934) écrit à ce sujet :
« Pendant la guerre de 1914-1918 et pour parer à la privation de son usine de Bohain, occupée et détruite par l’ennemi, il aménage ses ateliers de Paris, pour satisfaire les commandes importantes de tresses d’antenne et de câbles légers de campagne qui lui ont été confiées par les Etablissements de la télégraphie et de la radiotélégraphie militaires, et met au point, en liaison avec M . le Colonel FERRIÉ certains types de tresses d’antennes encore utilisés bien plus tard en T.S.F ».
Pendant cette guerre qui va amener la destruction de l’usine de Bohain, et l’adaptation des activités de Paris aux besoins des armées, Marie entretient avec son fils Maurice une correspondance que celui-ci a soigneusement conservée (voir chapitre consacré à Maurice, guerre 1914-1918).
Dans ces courriers, il est souvent question de Suzanne. Depuis plusieurs années déjà leurs deux familles sont unies. Marie donne d'ailleurs à Maurice des nouvelles des fils Limasset, André, Joseph, Jean et Marc, comme s'il s'agissait de ses propres fils. En 1910, les cousines germaines de Maurice, filles de Juliette et d'Eliacin ROL, Jeanne, l'aînée, et Marcelle, la seconde, ont épousé les deux frères aînés de Suzanne, André et Joseph LIMASSET. Les ROL et les LIMASSET se sont beaucoup fréquentées à Laon. Eliacin y exerçait son métier de Pharmacien et son fils aîné, Louis, futur médecin, était très ami avec les fils aînés de Lucien Limasset dont la maison de la rue Saint-Cyr était toujours pleine et joyeuse. Ainsi, des rapports déjà étroits existent du même coup entre les ALLIOT, si proches des ROL, et les LIMASSET.
Quand Maurice obtient son diplôme de l'Ecole en juillet 1912, Lucien Limasset l'apprend par Héloïse, la grand-mère commune de Maurice et des épouses de ses deux fils. Il est donc l'un des premiers à le féliciter:
Tous ont fini par se retrouver à Paris, la famille de René dès 1889, puis celle de Juliette en 1897, quand Eliacin a rejoint l'entreprise de la rue Saint Ambroise, les LIMASSET enfin en 1913, quand Lucien a été nommé Inspecteur général des Ponts et Chaussées. Laon reste d'ailleurs par la suite un rendez-vous familial incontournable.
Maurice et Suzanne, donc, se connaissent déjà très bien. Lors du fameux mariage du 20 janvier 1910, ils sont garçon et demoiselle d'honneur. Cette journée reste pour eux un chaleureux souvenir. Peut-être alors des perspectives nouvelles ont-elles commencé à s'ouvrir devant eux? Toujours est-il qu'en avril 1913, Suzanne écrit à sa meilleure amie: "On attend pour nous marier la fin de son service militaire" C'est alors encore un secret! Le jour de Noël 1913, Maurice et Suzanne sont officiellement fiancés, et la date du mariage projetée: ce sera en octobre prochain!
Mais on sait qu'en octobre 1914 Maurice comme tous les autres est au front. Il faudra attendre le 21 août 1915 pour célébrer le mariage au cours d'une permission. Mais, tout cela, on le retrouvera dans le chapître consacré à Maurice et Suzanne.
Le 8 septembre 1915, c'est à son père qu'écrit Maurice, en réponse à une lettre que celui-ci lui a écrite (fait rare... c'est d'habitude sa mère qui prend la plume). Il lui fait part de son ardent désir de voir ceux qui lui sont chers s’apprécier mutuellement, chacun avec son tempérament... Suzanne, sa toute jeune épouse, vient de passer quelques temps avec Marie et Thérèse. Maurice se rend bien compte que pour elle ce n'est pas facile, et il sait que son père peut le comprendre à demi mot. Mais Maurice s'adresse aussi dans ce courrier à celui qui, comme lui, connaît les techniques des tirs d'artillerie.... : Non que le régiment ait à effectuer alors des tirs. Mais Maurice est chargé de former les hommes pour la suite des opérations, et le but de la conférence qu'il prépare est la maîtrise des tirs d'obus vers les avions, afin d'empêcher les vols d'observation ennemis sur les lignes de front. Maurice parle aussi de l'offensive allemande sur le front russe... La fin de ce courrier, plus difficile à déchiffrer, est reprise ci-dessous:
"Je suis très content que tu aies une bonne provision de charbon, cela permettra de ne pas arrêter l'usine et d'employer les personnels pendant les mois les plus durs de l'hiver.Nous suivons de loin les opérations en Russie. Il est bon que les allemands s'engagent à fond, mais j'espère que les russes pourront encore supporter les offensives qu'on prévoit plus violentes en Courlande et au sud de la Galicie, en Podolie. Ces offensives, j'espère, seront les derniers grands efforts".... (il doit manquer la fin de la phrase)
Dans cette autre lettre, datée du 9 octobre 1915, Maurice, après quelques commentaires sur la situation internationale, décrit à son père la voiture téléphonique que son régiment vient de recevoir (extrait):
« …J’ai reçu le Petit Parisien daté du 6… il relate, outre les événements bulgares, la démission de Vénizelles. Quel drôle de pays que ces balkans, pourvu que nous ne payions pas trop cher notre bonté envers des souverains plus enclins à écouter leurs sentiments de famille que les aspirations de leurs peuples ?......... Ce soir nous avons reçu à la position notre fameuse voiture téléphonique. En voilà la description, elle t’amusera peut-être. Les roues ont à peu près 1 mètre de diamètre, leur écartement est à peu près le même. Elles portent au moyen de grands ressorts de voiture, un plateau de 0m 80 de large et 1m 10 de long. Ce plateau porte à l’arrière une dérouleuse de 0m 40 de diamètre ... 0m 50 de longueur de noyau et contenant 3000 à 3500 m de fil génie (0cm 60 de diamètre à peu près). Cette dérouleuse au moyen de dispositifs simples et appropriés peut être déroulée sur la voiture avec une manivelle…….(etc.) »
Maurice en a fait le croquis sur sa lettre (extrait ci-dessous). On le voit par ailleurs sur une photo (prise plus tard, en avril 1916) en exposer le mécanisme à un officier :
Dans le texte consacré à Maurice et la guerre de 14-18, on trouvera les textes complets des lettres échangées entre Maurice et les siens. Vers la mi-octobre, les "marmitages" (tirs d'obus ennemis) deviennent fréquents. La lettre ci-dessous en témoigne. Elle donne aussi un nouvel exemple des préoccupations communes à Maurice qui, d'un côté met en place les transmissions dans les conditions du terrain, et à René qui de l'autre, tout en apportant les informations demandées sur le matériel nécessaire, adapte à ces conditions les techniques développées dans les laboratoires et les ateliers (18 octobre, lettre à Marie)
«Hier je n’ai pu t’écrire, j’ai été occupé toute la journée. Avant-hier…..les boches avaient marmité le matin ; le soir ils ont recommencé, nous tuant 2 hommes et en blessant 2 autres (….). Hier j’ai du m’occuper de l’enterrement de nos deux malheureux hommes, recherche d’une église, d’un cimetière, de bois pour les cercueils, de la confection des croix, plaques, etc., transfert des corps, le tout compliqué par le fait que nous déménagions à midi et que j’étais officier de logement (…) J’ai bien reçu les échantillons envoyés par papa…. »
Par ses qualités humaines et par son enthousiasme, René a su générer autour de lui cette connivence, cette culture commune de l'ingénieur entrepreneur, qu'il partage ici avec Maurice, mais qui fait aussi d'autres émules : Eliacin le premier, qui est de tous les projets, depuis les débuts des usines, dont il a pris la direction commerciale en 1897 (peu après l'ouverture de Bohain). Après lui, André Limasset, formé lui aussi à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures, va rejoindre l'équipe en 1910, après son mariage avec Jeanne Rol. Il quitte alors Reims et la manufacture de textile de son grand-père maternel (Maison Poulot) où il avait fait ses débuts d'ingénieur. On sait que plus tard, ce sera le tour de Joseph, après la mort brutale d'André, le 7 octobre 1931, à la suite d'une crise de paludisme particulièrement violente (voir plus loin)... et il y aura encore, pour rejoindre la société en 1949, François Tranchant, époux de Monique, l'une des filles de René Rol (4ème et dernier enfant d'Eliacin et de Juliette après Louis, médecin, Jeanne et Marcelle), pour ne parler que de collaborateurs issus du giron familial!
Mais revenons au présent. La guerre dure, plus qu'on ne l'avait imaginé... Et les usines doivent répondre à une forte demande dans le domaine des communications, et s'adapter rapidement. Or, si Reuilly déborde de travail, l'usine de Bohain est occupée dès le début des hostilités et son matériel réquisitionné. Voici ce que résumera, lors de la reconstruction, LE MONDE ILLUSTRÉ du 22 janvier 1922 :
R. ALLIOT-ROL & Cie
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MANUFACTURE DE FILS
ET CABLES ELECTRIQUES
Usine de Bohain
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Cette usine a été construite en 1898 par MM ALLIOT et ROL, pour compléter leur usine de Paris et des agrandissements importants étaient terminés en 1914.
Dès le début de l’occupation ennemie, fin août 1914, elle fut utilisée comme cantonnement par les Allemands qui installèrent des chevaux dans les ateliers principaux, le matériel et l’outillage ayant été empilés dans les autres bâtiments ; les matières premières, fils de cuivre, caoutchouc, tissus et textiles furent naturellement réquisitionnés de suite.
La dévastation commença en 1915 par l’enlèvement des lignes de transmission de force électrique, de la tuyauterie en cuivre, et de toutes les pièces en bronze des machines motrices et du matériel de fabrication ; les arbres de transmission en acier furent expédiés en Allemagne à cette même époque. La destruction fut complétée au printemps 1917, au moment du repli sur la ligne Hindenburg. Les Allemands retirèrent alors des bâtiments et brisèrent aussi bien le matériel de fabrication que tout ce qui restait comme machines et outillage divers. Plus de 115 tonnes de ferrailles furent envoyées en Allemagne à la suite de cette destruction.
Les bâtiments restaient à peu près intacts, mais sous prétexte d’installer une blanchisserie - buanderie, les Allemands crevèrent les toits, défoncèrent les dallages et creusèrent le sol sur une superficie de 2000 mètres carrés environ et, pour y prendre des matériaux, ils achevèrent la démolition de la maison d’habitation déjà fortement endommagée par le bombardement aérien.
Aussitôt l’armistice, les travaux de réparation furent commencés activement, un matériel de fortune fut installé et en décembre 1919 la fabrication recommençait. Aujourd’hui la reconstruction est terminée, le matériel remplacé et la Société a pu reprendre toutes les fabrications d’avant-guerre.
Voici, en 1919, deux images des ateliers de Bohain dévastés:
Après la guerre, René s’emploie effectivement très activement à reconstruire et rééquiper cette usine de BOHAIN, dont la remise en marche est effective et complète en 1921.
Depuis leur démobilisation, André Limasset et Maurice sont entrés dans la société. A Paris, André Limasset s'occupe avec Monsieur Parsy de la partie commerciale. Maurice s'occupe de la partie fabrication. Ensemble, ils participent aux réunions du syndicat des fabricants de fils et cibles électriques. A Bohain, le directeur, Monsieur Lecourtois, s'en remet pour toutes les questions importantes à Maurice ou à André, qui y font de très fréquents séjours.
Voici ce qu'écrit le fils aîné D'André Limasset, Pierre, dans ses "Souvenirs" (1982):
"Après la guerre, quand oncle René se retira progressivement des affaires, mon oncle Maurice Alliot s'occupa exclusivement de la fabrication à Paris tandis que papa reprenait la partie commerciale, assumée auparavant par bon papa après son association avec son beau frère (qui l'avait persuadé d'abandonner sa pharmacie) et supervisait la fabrication à Bohain. L'usine de Bohain avait d’ailleurs un directeur, M.Lecourtois, mais papa y passait au moins deux jours par semaine. Il était pris non seulement par les problèmes de fabrication et notamment la mise au point de l’isolement sous caoutchouc (concentré à Bohain) et des câbles sous-marins, mais aussi par des questions sociales car il présidait une « caisse de compensation », dont le siège était, je crois, à St Quentin. En l’absence d'assurances sociales, des industriels de la région du nord cotisaient pour organiser ensemble une caisse permettant de subvenir aux besoins des ouvriers atteints par la maladie."
Et, plus loin:
"Oncle Joseph nous emmena un jour visiter une usine d'électrométallurgie à Ugine (...) La condition ouvrière chez Alliot et Limasset était assez douce, tant à Paris qu'à Bohain. Le travail des ouvriers n'était pas pénible. On les connaissait individuellement; ils jouissaient d'avantages sociaux non négligeables grâce à la caisse de compensation. A Bohain, beaucoup étaient logés, quelques-uns seulement à Paris (...) Par comparaison, l'usine d'électrométallurgie me parut un enfer..."
En 1930, à 72 ans, René est à la tête de la Société ALLIOT LIMASSET et Cie (anciennement R. ALLIOT et ROL), il occupe dans ses établissements quelques 200 ouvriers et employés. L’activité de René ALLIOT est alors de plus en plus impressionnante et il fait partie de ceux qui ont contribué à faire évoluer la société industrielle et le monde du travail vers ce qu’ils sont aujourd’hui :
Il est membre depuis sa fondation de la Caisse de Compensation d’Allocations Familiales de la Région Parisienne, mais aussi de la Caisse des Institutions Familiales Ouvrières de la région Bohainaise (il en est le promoteur, voir ci-dessous).
Il est aussi membre honoraire de la Mutuelle Interprofessionnelle de la Région Parisienne, et membre de la Mutuelle familiale de Saint-Quentin et environs…
Mais on peut encore ajouter à ces diverses activités celles de membre:
- du Comité de patronage de la Société Belge d’Etudes et d’Expansion (sous le haut patronage de sa Majesté le Roi),
- de la Fédération des Industriels et Commerçants Français,
- de la Société pour le développement du Haut Enseignement de l’Electrotechnique en France,
- de la Société des Amis des Sciences,
- de la Société des Amis de l’Ecole Centrale (délégué de sa promotion),
- de la Société Industrielle de Saint-Quentin et de l’Aisne,
- de l’Association Nationale pour la protection de la jeunesse française,
- de l’Alliance Nationale pour l’accroissement de la population française,
- de la Caisse des Ecoles du XIIème arrondissement de Paris,
- de la Société des amis des soldats aveugles (membre fondateur),
- ...........!!!
Maurice notera qu'il "participe, avec d’autres industriels de la région, à la création en 1925 de la Caisse des Institutions Familiales Ouvrières de la Région de Bohain, dont le premier Président fut Monsieur GADEL, Industriel à Bohain (Matériel textile) et, rapidement après, mon beau-frère et associé, André LIMASSET. ». Au décès d’André, en 1931, ce sera le tour de Maurice lui-même qui en assurera la direction jusqu’à la nationalisation de toutes les Caisses et leur généralisation.
Le document qui suit, plus tardif, rappelle quels étaient à l’époque les enjeux de telles Caisses, et sur quelles bases elles ont commencé à se développer :
CAISSE DES INSTITUTIONS FAMILIALES OUVRIERES
de la REGION de BOHAIN
La guerre de 1914-1918 avait fait nettement apparaître l'injustice qui se manifestait lorsque des salaires identiques s'appliquaient à des familles chargées ou non de nombreux enfants. Le remède ne pouvait être que collectif et anonyme.
C'est ce qui détermina la création en France de nombreuses Caisses, comme la nôtre en 1925.
Son territoire était le canton de Bohain, et plusieurs cantons limitrophes, tant dans l'Aisne que dans le Nord. Limitée d'abord à l'Industrie, elle s'étendit ensuite aux autres professions, dont le Commerce.
Sous l'impulsion de ses Présidents successifs, Messieurs GADEL, LIMASSET, Maurice ALLIOT, et grâce à la très active direction de Mesdames BENCKER et SUCHET (20 ans et 16 ans de présence), elle se développa rapidement.
Lors de son absorption par la Caisse d'Etat en 1946, elle gérait plus de 300 entreprises représentant 5.700 salariés environ.
La Caisse s'occupa tout d'abord du :
- Versement des Allocations Familiales, grâce aux cotisations des employeurs puisque c'était là son but principal.
- puis des Allocations de salaire unique.
- des primes à la première naissance avec distributions de layettes.
- Un service d'Assistante Sociale fut mis en place avant la guerre de 1939.
- plus tard fut installé un embryon de Médecine du Travail.
La Caisse s'appliqua à faciliter les Colonies et Garderies d'enfants pendant les vacances, puis, et surtout nécessaires pendant la Guerre, des goûters pour les enfants de Bohain et des environs, (grâce à la générosité d'adhérents, comme Nestlé et Confiturerie Materne).
La Caisse participa grâce à ses subventions, à la création de l’Ecole Ménagère de Bohain (Puériculture notamment) au bénéfice des jeunes de l'Industrie, du Commerce et de l'Agriculture.
Elle se préoccupa aussi de tout ce qui pouvait faciliter la vie des familles par la distribution de revues adéquates.
Dans les dernières périodes de son existence, elle commençait à s'occuper de la maladie, mais la Sécurité Sociale apparût alors et oeuvra mieux que nous ne pouvions le faire. La Caisse disparut en 1946 par absorption par l'Etat.
René, à 72 ans fait encore partie de plusieurs sociétés françaises et internationales de sa branche et s’occupe activement du Syndicat professionnel des fils et câbles pour l’électricité.
*****
Mais René est aussi un homme vif, alerte et affable, qui aime prendre du bon temps, en particulier avec ses meilleurs amis. Sur cette amusante série de clichés, on suit à Vichy, en juillet 1929, une conversation aussi amicale qu’animée entre les meilleurs amis du monde, René Alliot et son cousin (par des ancêtres Guyard-Paringault communs: cliquer ici pour voir le lien de parenté) Henry Rogier qui ici le tient par le bras. On dit qu’ils avaient toujours une bonne histoire à se raconter. Henry Rogier, pharmacien à Paris, est le créateur de l'Uroseptine Rogier. Dans le monde médical et pharmaceutique, ce n'est pas un inconnu.
Voici ce qu'on pouvait lire en 1929 dans la Revue d'histoire de la Pharmacie :
« La maison Henry ROGIER, "Produits Pharmaceutiques Sélectionnés", qui occupe actuellement le 56, bd Pereire l’hôtel où habita et mourut Sarah Bernhardt, fut fondée en 1900 par M. Henry Rogier qui en est toujours le directeur, en collaboration avec son gendre, le Dr Georges Boutin.
M. Rogier, docteur en pharmacie, est le préparateur de l’Uraseptine Rogier, antiseptique général et en particulier antiseptique des voies urinaires et biliaires, dissolvant de l’acide urique, l’heureuse association des produits qui composent l’Uraseptine crée dans l’organisme le milieu acide qui permet le dédoublement de l’hexaméthylène tétramine et, partant, le dégagement dans l’économie de formol à l’état naissant.
L’Uraseptine Rogier, qui est adoptée dans les hôpitaux, les cliniques gratuites, les dispensaires, est fournie gracieusement par M. Rogier pour tous les malades indigents.
M. Rogier prépare, en outre, plusieurs produits : la Kymosine Rogier, qui assure la digestion du lait ; le Baume Delacour, contre les crevasses et gerçures du sein ; la Valbornine Rogier, sédatif du système nerveux ; le papier du Dr Balme, antiseptique pour usage externe ; le Suppositoire Pépet, contre la constipation et les hémorroïdes.
Les « Produits Pharmaceutiques Sélectionnés » occupent 80 employés ou ouvriers soit à Paris, soit dans l’usine située à Asnières. L’excellence et la bonne fabrication de leurs produits leur ont valu, tant en France que dans tous les pays du monde, les plus hautes récompenses dans les expositions. M. Henry Rogier édite et dirige une luxueuse revue : Les Causeries Médicales et Littéraires, qui tire à 250.000 exemplaires et qui s’imprime en français et en espagnol »
S'il prend ainsi du bon temps, c'est qu'il peut se reposer en partie, pour les questions techniques et commerciales, sur ses associés. Mais il est encore très présent dans toutes les questions stratégiques et comme représentant de la société à l'extérieur.
Le 24 décembre 1930, René reçoit du Maréchal de France Lyautey, alors Commissaire Général du Comité français des expositions prévues pour l’exposition coloniale internationale de 1931 à Paris, une nomination de « Vice-président secrétaire de la Classe 26, groupe V, de la section Métropolitaine de l’Exposition Coloniale ». Elle doit se tenir à Vincennes et, comme les précédentes, elle célèbrera les vertus du commerce colonial.
Le jour de son ouverture, Paul Reynaud, ministre français des Colonies, inaugure en fanfare l'Exposition en compagnie du président de la République Gaston Doumergue et du commissaire général de l'exposition, l'illustre maréchal Hubert Lyautey.
Cet événement marque l'apothéose de la IIIe République et de l'œuvre dont elle a été fière : la colonisation ou la mise sous protectorat d'une bonne partie de l'Afrique noire et de Madagascar, de l'Afrique du Nord, de l'Indochine ainsi que de la Syrie et du Liban.
Mais 1931 c'est aussi le choc de la mort brutale d'André, le 7 octobre... Pierre Limasset raconte (Souvenirs):
Le 7 Octobre 1931 papa rentrait à la maison vers 7 heures du soir, en proie à une crise de paludisme, et me demandait de conduire la voiture au garage situé à deux cents mètres de la maison. Papa avait contracté le paludisme avant la guerre, probablement, pensait-il, au cours d'un séjour à Aix la Chapelle où des coloniaux venus des possessions allemandes, et notamment du Cameroun, venaient se soigner. Ses crises avaient cessé pendant la guerre au cours de laquelle il avait pourtant mené une vie très rude. Elles avaient repris ensuite, à des intervalles irréguliers, parfois très longs, mais avec une grande violence. La température dépassait souvent 40°, les sueurs très intenses traversaient parfois le matelas. Il prenait de la quinine. On soutenait le coeur, au moment des crises, par des piqûres camphrées.
Le 6 Octobre la famille Jeannet, au grand complet, avait dîné à la maison: M.Jeannet, alors banquier à Autun, Mme Jeannet, leurs fils Jean et Henri, leur fille Anne-Marie. La soirée avait été très gaie. Nous avions passé des disques sur un gramophone que papa nous avait donné peu auparavant. Le lendemain matin, à l'heure du petit déjeuner, papa disait qu'il ne s'était pas senti en aussi bonne santé depuis longtemps. Le soir même, vers huit heures, j'étais près de lui dans la chambre et maman préparait la piqûre de camphre. Il respira profondément tout à coup et s'affaissa les yeux ouverts, sans connaissance. Quand les médecins arrivèrent, il était trop tard: respiration artificielle et massage du coeur furent sans effet et il fallut se rendre à l'évidence.
André a disparu, Eliacin n'est plus là... La société de René Alliot, qui, à la retraite d'Eliacin en 1927, a pris comme raison sociale ALLIOT, LIMASSET et Cie, est très désireuse de s'associer les larges compétences scientifiques de Joseph. Il est d'abord très partagé: Sorti de Polytechnique, Joseph avait d'abord occupé, et notamment au début de la guerre, des fonctions importantes et, compte tenu des événements, très stratégiques, au Chemin de Fer du Nord, à Lille. Après la guerre (qu'il avait continuée comme officier d'artillerie), il avait été nommé au siège central à Paris. C'est là qu'il accepta un beau jour un poste de Secrétaire général que lui proposait la libraire technique Dunod. Poste passionnant qu'il lui coûte beaucoup de quitter, et que la Maison Dunod l'encourage à conserver. Mais il accepte, et la société bénéficiera de ses talents de chercheur.
1931 : C’est encore le cinquantième anniversaire de la promotion 1881 de l’Ecole Centrale de Paris. René a été élu par ses pairs délégué de cette promotion. On le reconnaît au 2ème rang, derrière la femme assise, 4ème en partant de la droite. De Marie, modeste, on aperçoit vaguement le visage derrière une femme dont le chemisier blanc semble se prolonger par la barbe blanche du premier rang. Thérèse et René sont au fond, entre la glace et la porte de droite. Suzanne, sur le même rang qu’eux, au fond, 3ème à partir de la droite de la photo.
Voici quelques images des ateliers qui doivent être ceux de Reuilly dans les années 30 (mais peut-être aussi Bohain???) : Atelier de tressage, Atelier de guipage, Atelier des fils fins, calandre et boudineuse à caoutchouc... entre autres.
Et puis, brutalement, dans la nuit du 28 septembre 1937, un gigantesque incendie scelle la fin des activités industrielles de l’usine de Reuilly. De ces ateliers et des autres, il ne va rester que des ruines calcinées. Seuls les bureaux et les maisons d'habitation sont épargnés. L'événement est décrit dans la presse des jours suivants. On a eu très peur pour les abords de l'usine.
Les associés ne vont pas baisser les bras. Administration et bureaux d'étude restent l'apanage des locaux de la rue de Reuilly. Les acticités techniques seront concentrées à Bohain.
Quelques images des ateliers après le sinistre:
Dans l'immédiat, René, Maurice, Joseph, et le reste de l’encadrement doivent faire plus que jamais appel à leur sens social et tout mettre en œuvre pour apporter aux personnels une aide que les politiques d’assurance n’ont pas encore institutionnalisée.
La maison d’habitation à l’entrée de l’usine n’a pas été touchée. Elle reste jusqu’à la guerre le foyer parisien de René et de Marie.
Eliacin ROL n'a rien su de tout ce drame. Retiré des affaires depuis 1927, il a regagné sa ville de Laon où il demeure au 29 rue Sainte Geneviève. C'est là qu'il s'est éteint le 3 janvier 1934.
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Un peu plus d’un mois après l’incendie de l’usine de Reuilly, le 30 octobre 1937, on essaie malgré tout de célébrer sans trop de tristesse le 50ème anniversaire de mariage de René et de Marie.
Et Maurice, qui a alors 41 ans, évoque dans le discours qu’il prononce la récente catastrophe, bien sûr, et les conséquences qu'elle a entraînées pour eux et pour les ouvriers, mais aussi les joies et les peines qui ont jalonné ces 50 ans.
"Il y a cinquante ans, par un beau soir d'automne, vous quittiez la rue de la Briche, pleins de confiance dans l'avenir....."
Pour voir le manuscrit de l'hommage de Maurice à ses parents, ouvrez les liens:
p.1-2, p.3-4, p.5
Plan de table et menu, conservés par Maurice, redonnent vie et saveur à ces moments. En agrandissant le menu, on en verra aussi le verso, signé par les convives!
Peu à peu, René freine tout de même ses activités. Les affaires sont bien prises en mains par les directeurs ALLIOT (maurice) et LIMASSET.
En 1938, (il a 80 ans!) il donne sa démission de vice-président du Syndicat des Fabricants de Fils et Câbles Electriques à M. Cosson, son président, qui lui exprime le regret que lui cause cette décision et l’estime profonde dans laquelle tous le tiennent, estime dont René trouve la preuve dans la « décision adoptée à l’unanimité et par acclamation par l’Assemblée, de désigner pour vous succéder à la Vice-Présidence du Syndicat votre fils, M. Maurice Alliot. » (lettre du Président Colson à René, 15/03/1938).
En 1939, René et Marie quittent Paris pour s’installer à Neuvy avec Thérèse. Ils ne gardent rue de Reuilly qu’un appartement qui servira de point de chute à Paris, soit pour eux-mêmes, soit pour Maurice et Suzanne, installés à Brunoy avec leurs cinq enfants.
C'est, à nouveau, la guerre.
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IV - René ALLIOT - 1938 à 1951