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CHAP XIII et XIV - Oppositions et adhésions

XIII

OPPOSITIONS

En admirant les grands travaux accomplis à l'étranger, vous vous êtes certainement demandé quelles pouvaient bien être les causes qui, depuis vingt-cinq ans, entravent l'exécution du Canal des Deux-Mers.
En dehors des questions techniques, les causes peuvent se réduire à trois: à l'affaire de Panama, - à l'hostilité irraisonnée des Compagnies de chemins de fer, - à l'or anglais.

1° Nous disons à l'affaire de Panama.

Oui, c'est parce qu'une partie des anciens dignitaires du corps des Ponts et Chaussées a été acquise à l'œuvre néfaste qui a ruiné tant de familles françaises. A peine une commission était-elle nommée, à peine ses membres étaient-ils connus, que les promoteurs du Panama s'empressaient adroitement d'attirer à eux les présidents et les rapporteurs de ces commissions et de les faire entrer dans leur comité technique avec des avantages pécuniaires considérables; c'est avec douleur que je constate ce fait matériel et vous pouvez en trouver les détails dans le discours que M. Bourrat, député des Pyrénées-Orientales, prononça à la Chambre dans la séance du 9 décembre 1897. Je pourrai en donner des preuves nombreuses, mais celle-ci qui est de notoriété publique est suffisante.

Chemins de fer.

La seconde opposition est due à l'influence des compagnies de chemins de fer, au syndicat de ces grandes Compagnies qui sont toutes-puissantes au Ministère des travaux publics et qui inspiraient les rapports hostiles au Canal.
Dans la question du Canal des Deux-Mers, il ne s'agit cependant pas d'une lutte rétrécie entre les chemins de fer et les canaux, mais d'une concurrence internationale qui n'aurait du susciter aucune jalousie française.
Loin de diminuer leur trafic, le Canal des Deux-Mers leur en apporterait; il attirerait dans les eaux françaises une partie des 50 millions de tonneaux de marchandises qui passent aujourd'hui à 400 lieues des côtes de France, au grand détriment de ces mêmes compagnies de chemins de fer et de leur transit qui atteint à peine trois millions pour toutes les compagnies réunies alors que le port d'Anvers à lui seul fait plus de 300 millions de transit par an. Le transit serait une de leurs principales source de recettes et, par leur sourde opposition au Canal, elles le laissent se diriger vers les ports italiens et vers les chemins de fer de l'Europe centrale.
Il ne faut pas oublier cet axiome "que plus les transports sont nombreux, et à bon marché, plus la matière à transporter augmente", c'est la loi du progrès".
Quant à la concurrence des chemins de fer et des canaux, voulez-vous me permettre de vous citer ce que M. Holz, inspecteur général des Ponts et Chaussées en dit dans son livre "Sur la navigation intérieure en Allemagne : "L'antagonisme entre les chemins de fer et la navigation, tel qu'il existe en France, est un mot à peu près vide de sens dans l'Europe centrale, en Allemagne, en Autriche, en Belgique même, où les voies navigables sont regardées comme l'un des facteurs les plus puissants de la richesse du pays. Elles ouvrent des débouchés aux produits naturels du sol aussi bien qu'à ceux des industries qui sont venues chercher sur leurs rives la vie à bon marché; elles font ainsi naître des trafics nouveaux en même temps qu'elles déterminent souvent de grands courants de travail que les chemins de fer pris isolément seraient impuissants à provoquer. Mais ceux-ci en recueillent également le bénéfice et parfois dans une mesure plus large que le canal ou la rivière. Ce fait est général et se produit aussi bien en France qu'à l'étranger. En un mot, les voies ferrées et les voies navigables s'alimentent les unes par les autres: Il y a coopération et non concurrence."
Voilà comment s'exprime M. Holtz, et il se charge de répondre aux objections antiéconomiques de ses camarades, aux administrateurs des compagnies de chemins de fer et à tous les fonctionnaires du ministère des travaux publics, du ministère du commerce, tous acquis pour une foule de raisons aux grandes compagnies.
Après l'opinion de M. Holtz, il me paraît utile de citer aussi celle de M. Krantz, ancien ministre de la guerre et des travaux publics, dont l'autorité et la haute compétence ne sauraient être discutées. Dans la biographie de M. Collignon, ingénieur en chef et vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées, nommé en 1872 conseiller d'Etat par l'assemblée nationale et ancien député de la Meurthe, M. Krantz dit : "Il eut à soutenir la lutte contre les promoteurs des chemins de fer qui allaient jusqu'à rêver l'abandon des canaux. Il prouva que le canal est encore l'instrument par excellence des transports économiques, que la voie d'eau et la voie ferrée se complètent l'une par l'autre pour le plus grand profit de la richesse et de l'industrie nationales."
Vous voyez, messieurs, que les compagnies de chemins de fer sont bien mal inspirées quand elles font de l'opposition au Canal des Deux-Mers. J'espère que mieux éclairées aujourd'hui, et leur patriotisme aidant, elles cesseront désormais une hostilité si nuisible à leurs propres intérêts, à ceux du pays et à sa sécurité.

3° Quant à l'influence de l'or anglais, je ne puis en parler qu'avec une extrême prudence, la question étant très délicate, mais personne n'ignore que, quand il s'agit de ses intérêts politiques, l'Angleterre sait faire manœuvrer habilement sa cavalerie de Saint-Georges.
L'exécution du Canal des Deux-Mers est le cauchemar de notre voisine; elle comprend que son exécution mettrait fin à son insolente prédominence, non seulement dans la Méditerranée, mais sur toutes les mers du globe; elle comprend que la puissance de la flotte française, la seule qu'elle redoute, serait doublée, que notre diplomatie reprendrait toute sa liberté d'action et d'influence, que Gibraltar serait annihilée et, pour empêcher la France de conquérir de pareils résultats, elle n'hésite pas à sacrifier prodiguement ses trésors comme nous l'avons dit plus haut, un de ses agents n'a pas craint de déclarer: "Les Français veulent dépenser 800 millions pour leur Canal des Deux-Mers, nous dépenserons 1500 millions pour les en empêcher", et, jusqu'à présent, ils ont réussi!

 

XIV

ADHÉSIONS

Mais si le Canal des Deux-Mers a rencontré de violentes oppositions, il a recueilli d'innombrables adhésions et un véritable plébiscite a été fait en sa faveur dans tous les départements français. Conseils généraux et municipaux, chambres et tribunaux de commerce, chambres syndicales et de nombreuses sociétés agricoles, industrielles et maritimes n'ont cessé de manifester pour demander son exécution. Il faudrait un volume pour faire connaître les millions d'adhésions que nous avons recueillies et reçues de toutes les parties de la France (1), votre présence à cette réunion en est une nouvelle et éclatante constatation.

(1) On en trouve le détail dans nos diverses publications.