Lucien et Angèle
LIMASSET
3ème partie
Pendant et après la guerre de 1914-1918
Le crépuscule d'une vie
On a vu, à la mi-juillet 1914, les diverses branches de la famille réunies autour de Lucien et Angèle pour célébrer, chez Marguerite et Arthur KLEIN à Laon le baptême Thérèse, née le 12 juin.
15 jours après, Lucien, qui a rejoint Paris avec les siens, commence un journal où il note de façon précise les événements qui alors se précipitent, tout en consignant brièvement les mouvements familiaux qui en résultent. Il va tenir ce journal du 30 juillet au 24 septembre. Du moins est-ce seulement jusqu’à cette date que nous en avons trace, grâce à Maurice Alliot qui devait en détenir le manuscrit et l’a repris à la machine à écrire.
Lorsque débute ce journal,
Dès le début des hostilités, Lucien va encourager sa famille, du moins les femmes, à se regrouper.
Au début de ses notes, avant de consigner les mouvements et nouvelles des uns et des autres, il fait le point de la situation qui a conduit à cette entrée en guerre :
"Le président de la République est en voyage en Russie et doit visiter les cours de Stockholm, Copenhague et Christiania.
Cependant, l'Autriche-Hongrie, à la suite de l'assassinat du prince héritier d'Autriche, adressait à la Serbie une note à allure d'ultimatum, avec réponse dans les 48 heures, posant au royaume une série de conditions inacceptables pour un peuple libre. La Serbie a pourtant répondu en accueillant la demande sur tous les points, sauf un, comportant en somme une ingérence de l'Autriche, par des fonctionnaires ou officiers autrichiens, dans les affaires intérieures du pays.
Cette réponse n'a pas été jugée satisfaisante, et l'Autriche répondit par la rupture des relations diplomatiques et la déclaration de guerre.
Depuis l'origine des difficultés, et alors que la Russie, ne pouvant laisser écraser les populations slaves, répondait par une mobilisation partielle de ses forces, du côté de l'Autriche, les divers gouvernements, à Londres, à Paris et à Rome, s'employaient à chercher avec l'Allemagne un moyen d'éviter le conflit.
L'Allemagne s'est contentée d'amuser la galerie, sans faire aucune démarche efficace auprès de l'Autriche, et en protestant de son désir de collaborer à la paix, tout en faisant tout pour préparer la guerre."
"Pendant ce temps, Charles et Geneviève et leurs enfants étaient à Soultzmatt, se proposant d'en revenir pour aller le 1er Août, avec Arthur et Marguerite à Gérardmer. Nous n'avons d'eux aucune nouvelle, si ce n'est une carte postale annonçant les meilleurs espoirs de paix. Le 2 Août au matin, j'apprends leur retour à Reims. Avant cette nouvelle, je craignais que Charles n'ait été retenu, peut-être comme espion! Les Allemands savent si bien trouver des prétextes. II est maintenant à son poste à La Fère.
Le 28 Juillet, Jean nous écrit qu'on prend à Toulouse les mesures indispensables.
Marc est venu dîner ici avec André le vendredi 31 juillet. Il part le soir pour Bordeaux, tout équipé et nous fait ses adieux et nous embrasse. André part le lendemain pour Laon, pour y rejoindre Jeanne qui a dû venir de Bohain. Il pense qu'il ne reviendra pas, son poste de mobilisation est en effet à Laon, et, à 4 heures de l'après-midi, le samedi 1er Août est affiché l'ordre de mobilisation.
Joseph est resté à Lille pour le mouvement des trains. Marcelle est à Laon avec ses enfants. Elle attend le n° 3. Madame Ernest Alliot est aussi à Laon chez Madame Brisset.
J’écris à Reims qu’on fasse venir Geneviève. Toutes les femmes et les enfants vont être groupés autour de ma femme à Laon où vont converger toutes les nouvelles et d’où nous espérons en avoir de partout. Je prends mes repas chez Monsieur Rol."
Les notes de Lucien Limasset seront reprises intégralement dans le document qui devrait être consacré à cette période de guerre 1914-1918, dont Maurice sera le personnage central.
Toujours est-il que le mariage de Maurice et de Suzanne, qui devait réunir toute la famille à la fin de l’été 1914 – l’événement, prévu pour le 8 octobre, avait fait déjà l’objet d’un certain nombre de préparatifs – est remis à plus tard…..
Et lorsque ce mariage a lieu, le 21 août 1915, à Paris, c’est dans l’intimité qu’il est célébré, beaucoup de ceux qui auraient du être là étant dispersés ou mobilisés. Le faire-part est d'ailleurs envoyé à toutes les connaissances après que le mariage ait eu lieu:
Outre son travail personnel, Lucien doit remplacer en partie les collègues mobilisés. Il se dépense toujours plus dans son nouveau poste : aussi, lorsqu'au milieu de la guerre, à la fin de l’année 1916, l'administration rattache à une inspection unique tous les services de contrôle des chemins de fer d'intérêt local, c'est lui que le Ministre désigne pour organiser et prendre en mains cette nouvelle inspection.
(Cette dernière partie de carrière est relatée dans l’éloge que lui rend le Conseil général des Ponts et Chaussées, dont il est membre depuis 1913, pour son départ à la retraite, qu’il doit, au début de l’année 1919, solliciter pour raison de santé.)
Lire le procès verbal de la séance du 6 février 1919 du Conseil Général des Ponts et Chausées.
Le travail est considérable. On est en guerre et les préoccupations sont aussi d'ordre familial: fils et gendres sont au front et parfois les nouvelles se font terriblement attendre. On vit dans l'attente et l'inquiétude, même si Lucien met tout en œuvre pour protéger les siens et garder le plus possible de contacts. Lucien et Angèle ont aussi recueilli chez eux les parents de celle-ci, Jules et Adèle Poullot que les bombardements de Reims ont fini par faire fuir, ce que Jules n'a accepté de faire qu'après avoir fait tout le nécessaire pour que, malgré la destruction de son usine de Reims, les activités puissent provisoirement continuer à Elbeuf (Eure) : son fils Albert et lui y ont acheté et aménagé des locaux. Mais cela a épuisé Jules qui déjà avait subi difficilement les bombardements dramatiques de sa ville et de son usine: Son état, comme celui de sa femme Adèle exige des soins continus. Il décède le 21 janvier 1916, rue de la Cerisaie. Adèle reste bien sûr chez les Limasset. Mais, usée elle aussi, elle s'éteint quelques mois après, le 27 août 1916.
Des responsabilités lourdes et des moments aussi difficiles finissent par avoir raison de Lucien, qui n'a pas ménagé suffisamment ses forces. Ce n'est cependant que lorsque la victoire est effectivement acquise que, sur l'insistance d’Angèle qui le sent très las, il se décide en Février 1919 à prendre un repos nécessaire et bien mérité.
Il s'attache alors à la remise en état de la rue Saint-Cyr saccagée par les Allemands. Malheureusement l'accès de Laon après l'armistice est difficile. Lucien Limasset ne peut y revenir que quelques jours en Février 1919 et deux mois environ pendant l'été, où il campe tant bien que mal dans la maison délabrée. Les dossiers sont constitués, les travaux vont commencer. Il n'en verra pourtant pas le beau résultat : il meurt subitement dans la soirée du dimanche 25 Décembre 1919, soir de noël, à l'âge de 66 ans, après avoir passé un après-midi heureux et tranquille avec enfants et petits-enfants chez son fils Joseph.
C'est une épreuve terrible pour cette grande famille, dont certains viennent de rentrer du front - parfois assez sérieusement touchés…
Lucien Limasset avait été pour sa ville de Laon et pour le département de l’Aisne un personnage important et apprécié sans réserve. Aussi n’est-il pas étonnant que les journaux locaux, et notamment le "Journal de l’Aisne" se soit fait l’écho du deuil brutal éprouvé non seulement par les proches mais aussi par ceux qui l’avaient apprécié dans sa carrière et ses activités locales. Ce journal rappelle d’ailleurs que le vœu le plus cher de Lucien Limasset qui venait depuis quelques mois d’accéder à la retraite, était de réhabiliter la maison familiale de Laon pour y passer le reste de sa vie…
Pour lire l'article que nous avons du numériser en 2 parties (Haut de page et bas de page), il est nécessaire de passer d'un document à l'autre, les colonnes de l'article s'étalant sur la hauteur de la page.
Quelques jours après, Geneviève Fandre écrit à sa sœur Suzanne et à Maurice, de Romorantin où elle réside alors :
Ce mot de Geneviève sur sa mère "Maman souffrira en silence. La souffrance est souvent plus intense chez une personne froide que chez une personne exubérante qui se dépense et ne concentre pas tout en elle-même" correspond bien à ce l’image que ses proches ont laissé d’Angèle… Son courage, Angèle va le manifester rapidement en poursuivant la tâche que le ménage s'était donnée : Avec la dernière de ses filles, Renée, qui n'est pas encore mariée (mais ne tardera pas à l'être), elle va terminer les travaux de la rue Saint-Cyr, afin que la nombreuse famille puisse y trouver affection et repères après toutes les épreuves. Pendant toute cette période, la famille s'est agrandie !
Dans sa lettre ci-dessus, Geneviève parle de Michel, malade à l'heure où elle écrit. C'est le 5ème de ses enfants ! Avant lui, il y a eu, avant la guerre, Guite, François et Hubert. Quand la guerre a éclaté, toute la famille était en vacances chez le père de Charles, à Soultzmatt, en Alsace (en territoire allemend donc! Tous ont du en vitesse passer la frontière, en pleine nuit et à pied... Geneviève n'a pas pu non plus rester à Reims avec ses enfants. Elle a passé quelques mois à saint-Brieuc, chez des cousins, puis à Nantes, chez sa sœur Marguerite, puis dans les Vosges, à Gérardmer où son beau-père a pu se réfugier, puis enfin à Paris, chez André et Jeanne Limasset, rue Lacuée. C'est là qu'est née Marie-Louise, sa 4ème enfant. Les différentes affectations de Charles les amèneront ensuite à Chamalières où est né Michel en mars 1918. Geneviève avait alors retrouvé non seulement Marguerite, mais aussi Suzanne et sa petite fille Anne-Marie, née le 21 août 1916. Suzanne attend alors Henri pour le mois de juillet.
Après la guerre, Charles Fandre a retrouvé du travail à Romorantin. Geneviève ne s'y plaît pas beaucoup et s'y sent isolée. Ils reviendront à Reims où Charles installera et dirigera la toute nouvelle et moderne usine du "Peignage de Reims"
Au chapitre précédent, on avait laissé Marguerite et Arthur Klein avec Jacques et Thérèse, leurs enfants, nés en 1913 et 1914. Le ménage n'aura pas d'autres enfants. Eux aussi connaissent beaucoup de pérégrinations pendant les années de guerre... mais après Nantes, Montmorency, Ermont et Chamalières, ce sera enfin le retour de la famille à Laon.
de g. à d. et de h. en b.: Suzanne Alliot, Arthur Klein
Geneviève Fandre, Marguerite Klein
Hubert (2 ans) et Guite (5 ans) Fandre, Thérèse Klein (18 mois), François Fandre (4 ans)
Jacques Klein (2 ans et demi).
Dans les ménages des frères aînés, des enfants sont venus au monde aussi avant la guerre : Chez André et Jeanne, rue Lacuée, vivent déjà Pierre et Simone. Au moment où André doit rejoindre le front, sa famille aussi partira, au gré des opportunités, puis reviendra... Mais en 1917, André est nommé instructeur dans une mission auprès de l'armée américaine, en Bretagne. Sa famille alors s'installe à Vannes où naît le 3ème enfant, Elisabeth.
(Pierre Limasset, l'aîné, a raconté ses souvenirs d'enfance: toute cette période est si magnifiquement racontée et illustre si bien ce qu'a pu être la vie quotidienne d'un garçonnet et des siens pendant cette période agitée, que nous avons repris ces souvenirs sous forme d'extraits ou de résumé: prévu mais en construction dans la partie "Personnages, lieux et événements")
Joseph et Marcelle sont dans le Nord en 1914: Joseph vient même d'être nommé à Lille quand il est mobilisé. Ils ont eu à peine le temps de s'installer Square Ruault. Madeleine et Andrée font partie du foyer, et Marcelle est enceinte. Elle se refugie à Laon avec ses filles, mais tout le monde va devoir quitter cette ville dès la fin du mois d'août. Elle part en voiture, avec sa famille et celle de Jeanne, plus une sage femme: précaution indispensable. Quinze jour après, elle accouche à Paris, à l'hôpital Bousicaut où ecerce Louis Rol, son frère aîné : une petite Françoise y naît le 9 septembre. Les autres continuent vers Biarritz. Puis la famille vivra à Paris, rue Lacuée, dans l'appartement que leur laisse André et Jeanne, ou à Montmorrency, auprès de Marguerite Klein. Une 4ème fille, Denise, naît au cours de ces pérégrinations, en 1917. La famille s'installe définitivement à Paris après la guerre, 3 rue de Médicis. Une 5ème fille, Geneviève, viendra plus tard, en 1924, compléter la famille.
de g. à d., Marcelle, Pierre, Andrée et Simone (assise)
à Biarritz, en octobre 1914.
Jean Limasset, lui, n'a pas d'enfant: il se marie sur le tard, en 1930 avec Anne-Marie Révillon, qui est veuve et qui a trois enfants. Deux enfants naîtront ensuite : Jean-Claude Limasset, en 1931, et Christiane en 1935. Contrairement à ses frères, Jean a fait carrière dans l'armée.
Marc, victime d'un terrible accident avec son bimoteur qui tombe en vrille la veille de l'armistice , le 10 novembre 1918, se remettra bien de ses blessures. Il se mariera en 1920 avec Victorine Quaglino: tous deux partent vivre au Tonkin quelques années avant de revenir en France.
A la mort de Lucien, on lui compte donc 14 petits enfants.
Durant plusieurs années, les ménages vont se retrouver à Laon auprès d'Angèle, à chaque fois qu'une bonne occasion se présentera. Mais le reste du temps, elle est seule dans "la" maison. Non loin de là a été inhumé Lucien, sous le sobre monument de granit qu'elle a fait édifier à l'entrée du cimetière Saint-Just, et dont le médaillon de bronze, œuvre de Lucien Monimart, son neveu, rappelle les traits. Pour tous les membres de la famille, dès qu'ils arrivent à Laon, le premier geste est de faire ce pèlerinage.
Si attachée qu'elle soit à ses souvenirs, Madame Limasset se rend compte rapidement de la fatigue que lui impose l'entretien d'une aussi grande propriété, rarement remplie maintenant que toute la famille est essaimée. Depuis que Renée est mariée, seule Marguerite - Madame Klein - habite à Laon. Aussi, lorsque la maison contigüe à celle des Klein, et qui leur appartient, peut être libérée, Angèle s’y installe. C'est une installation encore vaste, mais beaucoup mieux adaptée à la vie de Madame Limasset qui n'en occupe qu'une partie en permanence, l’autre aile restant à la disposition de ceux qui lui rendent visite. La pendaison de crémaillère dans cette maison du 13, rue du Cloître, a lieu en 1929. Enfants et petits-enfants s'efforcent d'y assister : il ne manque que Marc et sa femme, ainsi que Madeleine, la fille aînée de Joseph. 26 petits-enfants sont présents. Deux superbes photos restent de cette journée:
1929 - La crémaillère au 13 rue du Cloître, à Laon.
Sur la photo de gauche, maman (Anne-Marie) est assise à droite en bas, sa petite soeur françoise sur les genoux. Henri est le 2e à gauche en haut. Sur la photo de droite, où l'on reconnaît les mêmes. Suzanne en haut du perron à droite, porte Françoise. Maurice est un peu plus à gauche de la photo, au même niveau.
A dater de cette époque, Madame Limasset, qui a toujours aimé les voyages, se rend fréquemment chez ses enfants, accueillie avec joie par tous à Reims, Paris, Nice, Brunoy, Villemomble, Nevers et Saint-Brévin, mais elle continue aussi à les recevoir chez elle. Elle reste active jusqu'à la fin de 1933 où, alitée par une congestion pulmonaire, elle s'éteint chez elle, à Laon, le 9 janvier 1934, à l'âge de 72 ans. Elle pouvait partait tranquille, après une existence bien remplie, ayant eu bien sûr sa part d'inquiétudes et des moments difficiles, surtout deux gros chagrins, la perte prématurée de son mari en 1919 et celle de son fils aîné André en 1931, mais aussi beaucoup de joies, laissant 35 petits-enfants et 2 arrière-petits-enfants au milieu de familles apparemment heureuses.
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