JEAN THEUREL,
1699-1807
le vétéran centenaire du régiment de Touraine
Qui est Jean Theurel (1699-1807) par rapport à nous? De père en fils ou en fille, les générations se sont succédées:
- Jean Theurel (1699-1807) et Anne Rabiet
- Jean-Baptiste Theurel (1764-1859) et Marguerite Morot
- Séraphine Theurel (1827-1898) et Alexandre Limasset
- Lucien Limasset (1853-1919) et Angèle Poulot
- Suzanne Limasset (1893-1975) et Maurice Alliot
- et leurs enfants Anne-Marie, Henri, Lucienne et Bernard
- et les enfants de ceux-ci (Catherine, Jean-François, Dominique, Philippe, Marie-Jeanne, Vincent, Michel, Jean-René, Chantal, Isabelle, Patrick (†), Monique, Laurent, Yves, Agnès, Claire, Paul)
- et leurs propres enfants: Nathalie, Alexandra et raphael, mes enfants (Marie-Jeanne)
- qui eux-même ont aujourd'hui des enfants, avec Farid, Guillaume et Pauline : Bilal et Mehdi (Nathalie), Marius et Louison (Alexandra), Jules, Lou et Jade (Raphaël)
De celle de Jean Theurel à celle des plus jeunes, 9 générations donc !
Ce chapitre est consacré au plus « ancien » de nos ancêtres dont nous puissions retracer l’histoire aujourd’hui, grâce aux souvenirs et documents parvenus jusqu’à nous. Il a été rédigé à partir d'une notice biographique provenant du musée de Tours, où est exposé le portrait de l'ancêtre fameux, et des documents conservés dans les archives familiales.
Après ce premier chapitre consacré à Jean Theurel, on s’intéressera à la famille de Jean-Baptiste et de Marguerite, en particulier à leurs enfants, dont certains ont eu une destinée hors du commun…
Jean THEUREL est né le 8 septembre 1699 à ORAIN au nord de la Bourgogne, sur les dernières pentes du plateau de Langres. Abritant maintenant presque exclusivement des cultivateurs, Orain était du temps de Jean Theurel, un village typique de la région, avec ses « laboureurs », ses « manouvriers », son « tisseur en toile » et même un « couvreur en laves », ces plaques calcaires si courantes dans le coin et que l’on trouve encore en couverture sur quelques vieilles maisons.
Les parents de Jean étaient Denis Theurel, laboureur, et son épouse Marguerite Demery.
La France de 1699 souffre de misère générale. A Paris, la populace charge d’une besace symbolique l’épaule de Louis XIV dont Madame de Maintenon vient de faire ériger une statue équestre place Vendôme. On peut penser que comme bien d’autres, le jeune Jean est allé chercher fortune dans l’armée.
Jean Theurel s’engage donc en septembre 1716, à tout juste 17 ans. Pourquoi le régiment de Touraine? Parce que, suppose-t-on, un capitaine de ce régiment, Henri César Cotte, était originaire d’Orain. Jean quittera ce régiment pour les dragons de Beauffrémont en 1738, puis pour la cavalerie du régiment d’Anjou en 1744, mais réintégrera finalement et définitivement le régiment de Touraine vers 1750.
Le 13 janvier 1750, (il a 51ans déjà!) il épouse à l’église d’Orain, sainte Benigne, Anne RABIET, née le 22 août 1727 (et donc âgée de 22 ans) fille de Claude Rabiet (né comme Jean en 1699, décédé en 1746), laboureur à Chaume et de Anne Dumoulin (1697-1729) tous deux donc décédés lors de cette union.
A l’armée, Jean a appris à signer de son nom, ce que personne ne savait faire parmi les siens.
En 1756 commence la guerre de 7 ans. En 1758, Jean est blessé d’un coup de feu à « Crevelle » (Krefeld, où le 23 juin 1759 Ferdinand de Brunswick bat l’armée française). Le 1er août 1759, c’est la bataille de Minden. Les boulets de canon ennemis déciment les rangs des grenadiers du régiment. Après ces bombardements, le régiment de Touraine subit les assauts de la cavalerie. La plupart des soldats et officiers sont blessés. Malgré ses 60 ans, Jean se bat comme un lion, et reçoit 7 coups de sabre. Refusant tout avancement, il préfère poursuivre au régiment sa vie de soldat marié.
Les épouses alors suivent leurs hommes de camps en cantonnements. La solde est régulière mais modeste et les femmes se font un peu d’argent en menus travaux de blanchissage ou de raccommodage. Les garçons nés de ces foyers étaient « enfants du régiment » et admis à la solde en qualité « d’élèves tambours, fifres ou trompettes » en attendant leur engagement comme soldats.
Le ménage Theurel a eu 2 filles et 2 fils : l’un des fils est Dominique, né à Orain en 1751, le second Jean-Baptiste est « né dans la troupe » à Strasbourg en 1764 (son père a 65 ans!). Il n’a pas été retrouvé trace des 2 filles, mais il semblerait que la dernière soit née en 1774, alors que Theurel avait 75 ans et sa femme 49 !
En 1780, le régiment de Touraine part « pour les Amériques » avec la brigade de Saint-Simon et participe à la bataille de Yorktown. C’est là qu’un des fils, Dominique, est tué. On n’a pas de certitude sur le fait que Jean Theurel ait participé à l’expédition américaine. La liste officielle des combattants français en Amérique établie en 1905 par les soins du sénat américain le donne figurant au régiment de la compagnie Charlot. Par contre, on ne le trouve pas dans les documents, fragmentaires, contemporains du régiment de Touraine. Au moment du départ, il avait 81 ans et, si vert qu’il ait pu être, on se demande si ses chefs lui auraient fait prendre les risques d’une expédition coloniale qui a été si meurtrière même pour les jeunes.
Selon les contrôles, Theurel « part pour la pension » le 30 décembre 1783, après le retour du régiment en France. Mais que faire quand on a 84 ans, une femme et une fillette de 9 ans ? Theurel reste au régiment !
En 1784, il obtient par requête auprès du Baron de Satie que sa solde soit augmentée, faisant observer qu’avec 68 ans de service, il peut obtenir deux médaillons de vétérance (médaillon à entourage doré où s’entrecroisent deux épées, distinction accordée pour 24 ans de service) : Il obtient donc une solde de 200 livres au lieu des 90 qui lui étaient accordées précédemment.
En 1787, le régiment fait mouvement d’Avesne vers Rennes. Profitant de son passage à Pontoise, son « Mestre de camp en second », le Vicomte de Mirabeau, en profite pour aller faire sa cour à Versailles. Avoir en son régiment un si vieux soldat est une trop belle occasion de se faire remarquer.
Mirabeau fait venir Theurel à la cour et s’arrange pour le faire présenter au Roi Louis XVI…. « Monsieur le prince de Luxembourg voulut bien le placer sur le passage du Roi et le lui montrer : sa Majesté s’arrêta, demanda de quel régiment il était et parut satisfaite. Monsieur le prince de Luxembourg lui remit cent écus de la part du Roi et cinquante de la part de chacun de ses augustes frères » écrit et signe le Chevalier de Mirabeau qui ajoute la note suivante dans ses écrits : « Dimanche dernier 2 décembre, Sa Majesté a décidé que la pension de récompense militaire dont jouit le sieur Theurel serait convertie en une pension de 300 livres sur le trésor royal dont 200 livres seront réversibles à sa femme, et, après elle, à chacun de ses enfants. »
C’est la gloire! Peintres et dessinateurs se précipitent pour faire son portrait!
Aux archives municipales de Tours figure un document tout à fait intéressant, écrit par Jean Theurel lui-même (ou plus vraisemblablement par un écrivain public), à Perpignan, le 5 février 1789 ! adressé à
« Monsieur le peintre du Roy au bout de la rue Bergère »
De Perpignan, le 5 février 1789
Celle-cy est pour profiter d’une occasion qui vient
de marivé qui est le valet de chambre à Monsieur le Marquis
de Dhovet qui est sur son départ pour aller à Paris et
lui ayant parlé de mon habit que j’avais laissé chez
vous Monsieur je vous prierai de vouloir bien avoir la
Bonté de le remettre au présent porteur pour qu’en
revenant aux régiments que je puisse le lavoir car
il m’est utile parraport qu’il est d’ordonnance vous obligerez
celui qui a l’honneur d’être votre très soumis et serviteur
et sans oublier bien du respect à madame votre
Epouse ainsi qu’à mesdemoiselles
Vos filles vous voudrez
Bien m’excuser si j’ay tant tardé à vous donner de
Mes nouvelles mais c’est qu’ayant perdu votre adresse
C’est ce qui m’occasionnoit du retard à vous écrire
C’est ce qu’il me chagrinait beaucoup monsieur je vous
Prie qu’en renvoyant mon habit je voudrais bien que
Vous me mettiez quelques Estape ou tableaux dedans
Et suis votre fidel amy Theurel
Vétéran aux régiments de Touraine à Perpignan
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Voici le début de cette lettre :
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A la fin du message, Theurel a noté l’adresse du Marquis dont le valet lui sert de commissionnaire dans cette affaire :
Monsieur le Marquis D…(?) Rue du Croissant la 1ère porte cochère à gauche en entrant par la rue Monmartre.
Ce succès ne fait pas perdre la tête à notre Theurel qui profite de la faveur du Roi pour souscrire le 14 décembre 1787 un nouvel engagement au régiment de Touraine….ce qui lui donne le droit en 1788 de recevoir son troisième médaillon de vétérance !
Le régiment de Touraine va connaître avec Mirabeau devenu colonel, des démêlés dont on trouve trace dans la gazette nationale du 28 juin 1790. Suite à un incident survenu à Laval, où les soldats du régiment avaient voulu introduire en ville des marchandises soumises à droits et où s’en était suivie une bagarre avec des employés, le Colonel Mirabeau fut prié de rejoindre le régiment de Touraine pour sévir. Les soldats subirent la nouvelle punition de « coups de plat de sabre » préconisée par le Roi pour les fautes légères (châtiment pratiqué dans les armées prussiennes) ; le Roi pensait en effet que la prison était nuisible à la santé. Un blâme fut quand même donné aux officiers, et le régiment envoyé en disgrâce à Perpignan. En mars 1789, Mirabeau est élu député de la noblesse du haut Limousin et part à Paris. En mai, à la suite de divers troubles, une sédition éclate au régiment de Touraine. Mirabeau est prié d’aller voir ce qui se passe et part le 2 juin pour Perpignan. Alors que dans un but d’apaisement les drapeaux du régiment avaient été déposés chez le maire, on ne sait pourquoi, quelques jours plus tard, au moment de repartir à Paris, Mirabeau arrache les « cravates » des drapeaux, partie la plus respectée et la plus symbolique de ceux-ci… Le régiment bourdonne comme une ruche. Mirabeau sera rattrapé, les cravates récupérées et l’affaire portée devant l’assemblée nationale.
Monsieur Siam, député de la garde nationale de Perpignan déclare dans la gazette …
« On voyait des soldats courant au hasard dans les rues de notre malheureuse ville... Le célèbre Theurel, le plus ancien soldat de France, à la tête des vétérans, montrant à mes concitoyens son triple médaillon de vétérance, leur redemande les enseignes qu’il avait suivies pendant quatre vingt ans sous trois rois victorieux. »
Jean Theurel part enfin pour la pension le 31 janvier 1792, après 76 ans de service actif !
Il est logé à la caserne du château de Tours avec sa femme. Il est l’attraction de la ville et est reçu régulièrement chez les officiers.
La gazette nationale lui consacre encore un article : « Tours, le 25 thermidor an IX (16 août 1801) … « Parmi les vétérans qui habitent notre ville en existe un âgé de 102 ans nommé Jean Theurel …… Une remarque particulière est que ce brave homme a vécu dans le cours de trois siècles, né sous Louis XIV, il a servi sous ses deux successeurs et sous la république. Il jouit d’une bonne santé, il y a quatre jours, il est revenu de Montauban dont il a pris plaisir à faire une partie de la route à pieds… »
Le 4 brumaire de l’an XIII (il a 106 ans...!), il est décoré de la Légion d’honneur créée par Bonaparte.
La fin de l’hiver 1807 a été dure à Tours : Le 6 mars la gazette parle de tempête, de grand froid, de vent du nord et de neige. Jean Theurel n’y résiste pas et s’éteint le 10 mars à la caserne du château.
Son acte de décès, conservé aux archives de la ville de Tours, est signé de l’adjoint chargé de l’état civil : Balzac, le père de l’écrivain.
Il eut droit à des obsèques dignes de sa carrière militaire. Un décret signé de Napoléon le 10 septembre 1807 octroie une pension de 300 F en faveur de sa veuve, dont on perd ensuite la trace. On sait simplement qu’elle n’est pas morte à Tours.
Sur le portrait de 1ère page, nous voyons un Theurel bien droit, les cheveux blancs au vent, avec les yeux bleus enfoncés que mentionne son signalement. Sa main droite est posée sur son tricorne et il tient dans sa main gauche la petite pipe en terre si populaire dans les armées de Louis XVI. Equipé seulement de son sabre réglementaire, il porte fièrement sur son uniforme du régiment de Touraine, outre les 3 médaillons de vétérance qui l’ont rendu célèbre (1 pour 24 ans de service, donc 72), une autre décoration qui ne peut être la légion d’honneur puisque celle-ci lui aurait été remise 7 ans plus tard par Napoléon Bonaparte. Signé en 1788, ce portrait a été exécuté alors que Jean Theurel avait 89 ans, juste après sa réception par le roi du 10 novembre 1787 (Hubert GELLY).