Copie de la lettre adressée à Messieurs les Présidents des Conseils généraux des quatorze départements traversés et limitrophes du Canal des Deux-Mers.
Société Anonyme du Canal des Deux-Mers
DE L'OCÉAN A LA MÉDITERRANÉE
24, Boulevard des Capucines - PARIS
Paris, le 18 août 1902.
Monsieur le Président du Conseil général du département.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
Au nom de la Société anonyme du Canal des Deux-Mers, j'ai l'honneur de vous adresser, avec prière d'en donner lecture au Conseil général que vous présidez, un exemplaire de la nouvelle proposition de loi, déposée sur le bureau de la Chambre des député, le 9 juillet 1902, par M. de l'Estourbeillon au nom de cent dix de ses collègues, appartenant aux diverses nuances politiques du pays.
L'exposé des motifs résumant lumineusement la question, il me paraît inutile de m'appesantir sur l'importance capitale du projet au point de vue des intérêts généraux du pays et notamment de ceux de toutes les régions du sud-ouest, dont la prospérité et l'avenir sont si intimement liés à l'exécution du Canal des Deux-Mers.
Pour activer la discussion du rapport, dès la rentrée des Chambres, comme aussi pour obtenir l'adhésion des députés de votre département, je viens vous prier, Monsieur le président, de vouloir bien proposer au Conseil général le vote, à titre de voeu, de l'article unique de la proposition de loi que je reproduis intégralement dans la présente lettre.
PROPOSITION DE LOI
ARTICLE UNIQUE
Seront immédiatement ordonnées les enquêtes concernant le Canal des Deux-Mers, suivant les règles déterminées par le titre premier de la loi du 3 mai 1841, sur les avant-projets déposés au Ministère des Travaux publics, ayant déjà fait l'objet de cinq rapports extraparlementaires, et conformément aux données générales du rapport favorable rédigé dans la précédente législature, au nom de la Commission de la Marine, par M. Honoré Leygue rapporteur, chargé d'examiner ladite proposition de loi, afin, s'il y a lieu, de faire ensuite déclarer d'utilité publique les travaux de construction dudit Canal.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
L'Administrateur-Délégué de la Sociêté du Canal des Deux-Mers.
LOUIS VERSTRAET,
Ingénieur civil.
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COPIE DU PROJET DE LOI
N° 267
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CHAMBRE DES DÉPUTÉS
HUITIÈME LÉGISLATURE
SESSION DE 1902
Annexe au procès-verbal de la Séance du 9 Juillet 1902.
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PROPOSITION DE LOI
tendant à autoriser les enquêtes préalables, nécessaires à l'exécution du Canal des Deux-Mers, suivant les règles déterminées par le titre 1er de la loi du 3 mai 1841,
PRÉSENTÉE
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESSIEURS,
Dans l'avant-dernière législature de 1893-1898, M. Gellibert des Séguins, au nom de la 9e commission des pétitions, a déposé sur le bureau de la Chambre un remarquable rapport sur la question du Canal des Deux-Mers. L'impression de ce rapport, adopté à l'unanimité des membres composant la Commission, fut voté par la Chambre, mais la proposition de loi qui en était la conclusion naturelle ne put venir en discussion avant la clôture de la session. Par ailleurs, plusieurs autres rapports, également favorables au Canal des Deux-Mers, furent, à plusieurs reprises, déposés au nom de diverses Commissions des pétitions par un certain nombre de nos collègues de la Chambre et du Sénat.
Dans la précédente législature (1898-1902) un grand nombre de nos collègues, convaincus de l'intérêt capital de cette question et de son actualité persistante, ont cru à la nécessité de reprendre cette proposition de loi et m'avaient chargé de déposer en leur nom la proposition ci-dessous, dont l'urgence paraissait de plus en plus évidente, en raison des événements extérieurs qui ont marqué la fin de l'année 1898. Malheureusement, pour la seconde fois, le remarquable rapport entièrement favorable ooncernant cette proposition et fait, au nom de la Commission de la Marine, par l'honorable M. Honoré Leygue, ayant été déposé seulement le 23 décembre 1901, ne put être discuté encore avant la fin de la législature, et cette proposition de loi devenant dès lors caduque, nous avons considéré comme un devoir, un grand nombre de députés et moi, de la déposer à nouveau sur le bureau de la Chambre, considérant qu'il eut été regrettable de voir demeurer annihilé le travail si remarquable sur cette question de M. Honoré Leygue et estimant par ailleurs que la situation générale de l'Europe et les événements qui avaient encouragé le dépôt de cette proposition de loi ne se sont point modifiés.
Or, ces événements imposent à la France le devoir de ne plus rien négliger pour assurer la sécurité du pays, pour augmenter la puissance de notre marine militaire, et pour la mettre en situation de résister, sur toutes les mers qui baignent nos côtes, aux attaques ou aux provocations de nos adversaires.C'est pour obtenir ce résultat que, sans rien solliciter des finances de l'Etat, un groupe de savants ingénieurs, d'entrepreneurs émérites et d'éminents amiraux a, depuis longtemps, proposé et patronné la jonction de l'Océan avec la Méditerranée par la création d'un canal intérieur que tout le monde connaît sous le nom de Canal des Deux-Mers. Aucun esprit sérieux, aucun Français soucieux des grands intérêts de la Patrie ne peut plus aujourd'hui, après les graves incidents de ces temps derniers, en contester l'urgence.
Ce n'était pas une pétition ordinaire qui avait motivé le dépôt du rapport de la 9e Commission et de plusieurs autres; c'étaient les vœux, chaque année renouvelés depuis vingt-cinq ans, de la grande majorité des corps élus de France, Conseils généraux, ConseiIs municipaux, Chambres et tribunaux de commerce, presque tout le corps électoral, en un mot, qui tentait auprès de la représentation nationale un suprême effort pour abréger les lenteurs administratives, et obtenir une solution définitive que seul le Parlement a autorité pour donner, étant admis l'importance des intérêts en jeu et les précédents législatifs de la question.
C'est donc devant lui que la question doit étre discutée, puisque la masse électorale, représentée par les corps élus des départements et dont un grand nombre de nos collègues font partie, l'a si souvent demandé.
L'opinion publique, dans sa grande majorité, a toujours été favorable à cette œuvre dont elle comprend l'importance pour la défense nationale. C'est pour lui donner satisfaction et pour aplanir toutes les difficultés que nous avons l'honneur de déposer aujourd'hui notre proposition de loi appuyée par la signature de 126 de nos collègues.
Que demandons-nous au Parlement? Tout simplement que les enquêtes sur les avant projets remis au Gouvernement soient décidées conformément aux formalités d'enquête de la loi du 3 mai 1841.La formalité des enquêtes ne préjuge en rien l'avenir. Elle met au contraire toutes les responsabilités à couvert. Elle a pour effet de faire connaître les sentiments vrais des populations des départements intéressés. Elle permet aux adversaires et aux partisans de l'œuvre d'aller exposer les motifs de leur opposilion ou de leur adhésion. En un mot, elle apporte la lumière sur une œuvre d'une importance capitale pour la défense du pays, comme pour les intérêts de notre industrie, de notre commerce, de notre agriculture, de notre marine marchande, et pour toutes les sources vives de la richesse de la France.
Nous avons donc l'espoir que notre proposition de loi, qui ne présente aucun caractère politique, et sur laquelle tous les partis sont en communion d'idées, ainsi que le prouvent les signatures si diverses qui l'appuient, sera votée par la grande majorité de la Chambre.
Elle aura ainsi bien mérité de la Patrie.
En conséquence, les députés soussignés,
Considérant que la question du Canal des Deux-Mers est, depuis 1880, à l'ordre du jour de nos assemblées;
Considérant qu'à la dernière législature la Chambre a été saisie d'un projet de loi, que ce projet, renvoyé à la Commission des canaux du Midi, a été adopté par elle;
Considérant que le Canal projeté pourrait avoir une profondeur de 8m,50 qui permettrait d'y faire passer les navires de commerce du plus fort tirant d'eau et les cuirassés du plus grand modèle;
Que les écluses sont doubles, de sorte qu'aucune interruption de la navigation n'est à craindre; que leurs dimensions (25 mètres de largeur, 9 mètres de profondeur et 225 mètres de longueur utile) seraient suffisantes pour les navires de commerce et de guerre du plus fort modèle;
Que les dimensions minima du Canal et ses dimensions courantes seraient suffisantes pour permettre une vitesse de 12 kilomètres à l'heure aux convois remorqués, ce qui permettrait aux navires de n'employer au plus que 50 heures de la mer Méditerranée à l'Océan; que ce temps pourra être ramené à 40 heures en temps de guerre;
Que, dans ces conditions, les navires de grande vitesse (25 kilomètres à l'heure), allant d'au delà de Malte ou des ports du Nord de la Méditerranée vers les ports Nord de l'Europe, gagneraient 30 heures sur le passage par Gibraltar;
Que de même dans ces conditions, les navires à vapeur de petite vitesse (13 kilomètres à l'heure), transitant entre les mêmes points, gagneraient de 4 à 6 jours sur le même passage;
Que, en ce qui concerne les navires à voiles, ils auraient un bénéfice minimum de 8 à 15 jours, en outre de la suppression des arrêts considérables qu'ils éprouvent dans le détroit et qui les oblige à attendre, en relâche, quelquefois plusieurs semaines, des vents favorables, notamment pour sortir; que la suppression du passage du détroit de Gibraltar permettrait de diminuer sensiblement les taxes d'assurance;
Que les dispositions du Canal, qui permettraient d'utiliser sans frais des forces hydrauliques considérables, auront pour résultat de rendre la traction très économique;
Que toutes les considérations qui précèdent font présumer, avec raison, que la partie la plus importante du tonnage qui franchit aujourd'hui le détroit de Gibraltar, et se monte à environ 40 millions de tonneaux, en destination ou en provenance des ports du Nord de l'Europe, utiliserait le Canal au grand profit des intérêts français et spécialement des départements de la région du Midi, du Sud-Est et du Sud-Ouest de la France;
Considérant que le grand cabotage français, pouvant s'exercer en toute sécurité, à travers de riches contrées agricoles, viticoles et industrielles, verrait son tonnage s'augmenter de plusieurs millions de tonneaux et prendrait vraisemblablement un essor pareil à celui du Coasting trade anglais;
Considérant que les ports français de l'Océan (Dunkerque, Calais, Rouen, Le Havre, Saint-Nazaire, Nantes, Bordeaux, etc.) seraient appelés à renouer la chaîne des traditions commerciales du passé et à entretenir avec le bassin de la Méditerranée et aussi avec l'Algérie et la Tunisie un trafic d'une activité à laquelle il serait difficile, dès à présent, d'assigner des limites; qu'ainsi la marine marchande expirante pourrait espérer reprendre son ancienne prospérité;
Considérant que l'emploi des déblais permettrait de colmater près de 5.000 hectares des lagunes de Narbonne et d'ouvrir ainsi un nouveau débouché aux intérêts agricoles et viticoles de cette région;
Considérant que le plan d'eau du canal est placé généralement à une grande hauteur au-dessus des vallées de la Garonne, de l'Aude, etc., et, par suite de leurs affluents, de telle sorte qu'il serait très facile d'utiliser toute l'eau qu'il pourra amener en chaque point, soit comme chute ou force motrice, soit comme irrigation d'été, soit comme inondation contre le phylloxera;
Considérant que les irrigations et les submersions augmentent dans des proportions considérables la valeur foncière des terrains irrigués;
Considérant que les mines de houille du Midi, notamment celles de l'Aveyron et du Tarn, trouveraient un débouché direct et facile vers la Méditerranée, qu'elles pourraient dès lors fournir aux approvisionnements de la marine de l'Etat une grande partie du combustible, à un prix beaucoup inférieur à celui que l'Etat achète actuellement aux Compagnies étrangères; qu'il y a là un intérêt national de premier ordre;
Considérant qu'il résulte des observations précédentes que le Canal projeté serait une source de richesse incontestable, non seulement pour les régions du Midi el du Sud-Ouest, mais pour toute la France; qu'il annihilerait complètement le danger permanent de Gibraltar, surtout en cas de guerre avec l'Angleterre; qu'à ces divers points de vue, il constituerait une œuvre de sécurité et d'utilité publiques;
Considérant que la France ne peut voir avec insouciance des travaux comme le percement du Canal des Deux-Mers allemand, qui double la puissance déjà formidable de l'empire d'Allemagne, du Canal de Manchester, du Canal de Corinthe, du Canal de Bruxelles, des chemins de fer transcaspien et transsibérien, des fortifications italiennes à la Magdalena, de l'accroissement formidable de la forteresse de Gibraltar, de l'augmentation toujours croissante des Ports de Gênes, de Livourne et de Venise, du percement du Saint-Gothard et des chemins de fer de l'Europe centrale qui tendent à la priver de sa légitime influence dans la Méditerranée et du transit général que sa situation géographique lui avait donné, sans faire de son côté des efforts considérables pour maintenir son influence dans le monde et pour ramener vers son territoire les courants commerciaux qui s'en éloignent;
Considérant que le tonnage des ports français reste stationnaire et même va sans cesse en diminuant; que cette œuvre présente d'ailleurs la particularité spéciale de ne porter ombrage à aucun intérêt français, puisque le Canal n'aura pour effet ni d'en déplacer aucun, ni même de faire aucun tort aux recettes du chemin de fer et des canaux du Midi, mais qu'au contraire il sera utile à tous les intérêts existants et qu'il les favorisera au plus haut degré; que, dans cet ordre d'idées, les Conseils généraux et municipaux, les Chambres de commerce des régions intéressées, et même de presque toutes les parties de la France, ont presque toujours émis des avis favorables;
Considérant que les diverses études de la question ont été complétées à plusieurs reprises jusqu'à ce jour par les travaux des plus grands entrepreneurs et d'après les avis émanant des Commissions officielles ; que toutes les objections, notamment celles concernant la possibilité de l'alimentation du Canal en tout temps et la dépense de construction ont été victorieusement réfutées; que des réponses favorables ont été formulées par les dernières Commissions en ce qui concerne l'alimentation et le trafic, et que l'administration se trouve, depuis 1887, en présence de l'engagement contracté au Conseil des ministres, par le président du Conseil, alors M. de Freycinet, le 22 mars 1886, de mettre le projet aux enquêtes;
Considérant, d'un autre côté, que le Canal des Deux-Mers est avant tout une œuvre de préservation nationale, qu'il intéresse au plus haut point la grandeur et la prospérité de la France; que son ouverture sera, avant tout, une œuvre éminemment patriotique et contribuera puissamment à la défense du pays;
Considérant que la possibilité de faire passer d'une mer dans l'autre nos flottes de guerre, sans avoir à franchir le détroit de Gibraltar, constitue une augmentation considérable de la puissance maritime de la France; qu'elle rend toute leur liberté à nos escadres de la Manche et de la Méditerranée;
Considérant que les armements incessants et formidables de l'étranger imposent à la France l'impérieux devoir d'imiter ses voisins et d'augmenter directement et indirectement la puissance de ses escadres, d'assurer la défense de la Corse, de l'Algérie, de la Tunisie, son influence dans la Méditerranée et la neutralité du canal de Suez;
Qu'à tous ces points de vue, le Canal des Deux-Mers constitue une œuvre de salut public;
Qu'au point de vue social, la construction du Canal devant donner du travail, pendant quatre à cinq ans, à 30.000 ouvriers français, sera une source de bien-être pour la classe ouvrière et le meilleur moyen de lui accorder de légitimes satisfactions;
Attendu que les enquêtes exigées par la loi du 3 mai 1841, pour la déclaration d'utilité publique, ont été effectivement faites par un véritable plébiscite à différentes époques, par les adhésions formelles de tous les corps constitués et compétents qu'il faudrait à nouveau consulter;
Par ces motifs,
Ont l'honneur de proposer à la Chambre le projet de loi suivant :
PROPOSITION DE LOI
ARTICLE UNIQUE
Seront immédiatement ordonnées les enquêtes concernant le Canal des Deux-Mers, suivant les règles déterminées par le titre premier de la loi du 3 mai 1841, sur les avant-projets déposés au Ministère des Travaux publics ayant fait l'objet de cinq rapports extra-parlementaires et conformément aux données générales du rapport favorable rédigé dans la précédente législature au nom de la Commission de la Marine, par M. Honoré Leygue, rapporleur, chargé d'examiner ladite proposition de loi, afin, s'il y a lieu, de faire ensuite déclarer d'utilité publique les travaux de construction dudit Canal.
RÉSUMÉ GÉNÉRAL
DES PRINCIPALES ADHÉSIONS AU CANAL DES DEUX-MERS
70 Conseils généraux;
68 Journaux de Paris;
83 Journaux des départements;
161 Municipalités;
42 Chambres de commerce;
112 Tribunaux de commerce, Chambres syndicales, Chambres consultatives des arts et manufactures, prud'hommes, Syndicats des gens de mer;
8 Sociétés militaires, scientifiques ou agricoles;
ainsi qu'un nombre incalculable d'amiraux, de généraux, de députés, de sénateurs, de conseillers généraux ou municipaux, de maires, d'ingénieurs, d'entrepreneurs, etc., etc.
En somme, plusieurs millions d'adhésions, provenant de toutes les parties de la France, dont, naturellement, des quatorze départements intéressés, lesquels forment une population de cinq millions d'habitants!
Ces millions d'adhésions sont absolument indépendantes des cinq cents et quelques délibérations en faveur du Canal des Deux-Mers prises depuis dix ans par les Conseils généraux, les Conseils d'arrondissement, les Conseils municipaux, les Chambres de commerce, etc., etc.
Notons enfin:
Les deux projets de loi déposés en juin 1889;
Le projet de loi déposé en 1893 par M. Bartissol;
Le projet de loi déposé en 1894 par M. Gellibert des Séguins;
Le projet de loi déposé en mars 1899 par M. de l'Estourbeillon et signé par 130 députés;
Enfin le projet de loi déposé le 9 juillet 1902 par M. de l'Estourbeillon et signé encore par 110 députés.
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Dans sa brochure, Louis VERSTRAËT a joint divers extraits témoignant de l'adhésion, au fil des années, d'instances nombreuses, diverses et complémentaires. Certains d'entre eux sont accessibles par liens: