PAPA
"Cette photographie, on la trouve très souvent dans les livres d’Histoire de la seconde Guerre mondiale, où elle apparaît comme une icône de la Résistance, bien qu’elle ait été prise un an avant le début du conflit. C’est le portrait de Jean Moulin, chaudement vêtu et appuyé contre un mur de pierres.
Il porte un feutre légèrement incliné, le nez est un peu fort, il a le sourire et les yeux rêveurs. Pourquoi cette image banale m’a-t-elle toujours inspiré tant d’émotion ?
Il a fallu que je tombe sur cette autre photo des années cinquante, de toi cette fois, pour le comprendre : tu lui ressembles tant : même feutre, même visage encore jeune, même douceur dans le regard…
Jean Moulin est un héros entré pour toujours dans l’Histoire, tu es un passant anonyme et qui se souviendra de toi quand nous, tes enfants, nous aurons nous aussi disparu ?" (extrait du livre de Philippe Un passant dans le siècle)
15 janvier 2000, un samedi, la vie de papa s'achève.
Nathalie, l'aînée des petits enfants, va sur ses 28 ans, Amélie et Alexandra en auront bientôt 25, Valérie, puis Vincent en auront 23, Camille 22, Thierry 21, Flavie 20, et Raphaël 19. Pauline aura 16 ans dans quelques jours et Marion a un peu plus de 13 ans. Tous se souviennent de lui : le papy des dernières années aux Hespérides et celui des calins, au creux de son épaule, quand ils étaient petits. Ils ressentent encore le côté doux et rêche à la fois de l'étoffe du costume contre leur joue. Quelqu'un qui disparaît, ce sont des souvenirs mélangés et précieux.
Deux ans et quelques mois plus tard, Amélie donnait naissance à Victor et Nathalie à Bilal. On aurait aimé que la vie continue comme ça, qu'ils aient aussi leur petits moments d'intimité et de tendresse avec lui ! Les rôles se sont redistribués et nous sommes un peu maintenant le reflet de ce qu'ils étaient, maman et lui, à notre âge.
Le souvenir de papa s'estompe chez ses petits enfants, hormis le principal. peut-être pouvons-nous leur en apprendre un peu plus sur lui? Au témoignage de Philippe, qui se lit comme un hommage personnel d'un fils à son père, et non comme un récit, s'ajoutent d'autres souvenirs, anecdotes, documents et images à partager sur ces pages.
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On connaît peu de choses sur les origines de papa, peu soucieux de généalogie. Un vague cousin comme il y en a dans beaucoup de familles, lui a un jour adressé un arbre, soigneusement écrit à la plume, avec des noms et des dates. Des Boudin comme s'il en pleuvait, entre 1730 où naît un certain Pierre Boudin et maintenant 2017 où Jean-François, premier enfant de "notre" Pierre Boudin, nous offre, grâce à Thierry et Sara, un petit fils nommé Gabriel Boudin, dont les descendants à leur tour perpétueront peut-être encore la lignée !
Pour revenir sur ces éléments de généalogie paternelle, revenir au paragraphe précédent : http://histoiredelafamille.fr/rappel-genealogique
Le premier Pierre Boudin de la liste, ayant épousé Marie Elisabeth Le Gay, eut 7 enfants (6 garçons et une fille en dernier). Le 5e de ces fils, né en 1764, fut aussi appelé Pierre. Les 6 garçons devenus cultivateur, percepteur, garde-forestier, géomètre, charpentier et huissier étaient tous, comme le seront leurs enfants, natifs de Velennes, dans l'Oise.
Ce 5e fils, Pierre, a épousé Marie Justine Lefèvre. Ils ont eu 2 enfants: François Adrien, et un autre dont on ignore le prénom, tous deux menuisiers. François Adrien, ayant épousé Marie Augustine, eut 5 enfants dont l'aîné, Xavier, né en 1814, maçon à Velennes, est le grand-père de notre papa. Il a épousé Florine Armantine Houppin, née en 1826, dont le portrait peint décore une assiette qui persiste à demeurer intacte depuis des générations !
Xavier et Florine vont avoir 7 enfants entre 1848, date de naissance du premier de ceux-ci et 1867, date de naissance du dernier, Albert Xavier Boudin, le père de papa. Établi d'abord à Velennes comme toute la lignée, le couple s'installe à Guignecourt (Oise) quand s'annonce le 5e enfant.
L'aîné, Xavier Onésime, qu'on appelle comme il est courant à l'époque par son second prénom (le 1er est celui du père) et par la suite "l'oncle curé", est donc né le 27 juillet 1848. Entre sa naissance et celle d'Albert, 19 ans et un mois se sont écoulés. Il y a eu Maria Anaïse, née en 1850, Julia Philomène en 1853, un petit frère, Ernest Léon mort en bas âge, puis Félicie Alixe née en 1859; Gustave, premier garçon après l'oncle curé, perpétue le métier de son père maçon. Pendant toutes ces années, Onésime a été à l'école, au lycée, puis au séminaire. Il aime apprendre, il a du caractère et d'une certaine façon de l'ambition : C'est tout naturellement sur son plus jeune frère Albert que se porte celle-ci et Onésime va jouer un rôle déterminant dans la formation, les goût et le destin de son frère qu'il pousse d'abord vers de bonnes études.
Son sacerdoce l'a amené dans dans la région de Chantilly : on trouve trace de lui comme curé de Saint-Firmin et de Vineuil. L'église Saint-Firmin a une certaine notoriété car elle bénéficie de cinq verrières remarquables, situées dans le chœur, datant du XVIe siècle. La paroisse jouxte par le nord le domaine et le parc du château de Chantilly : édifiée dans les années 1550, l'église bénéficie du mécénat du connétable Anne de Montmorency, compagnon d’armes et ministre de François 1er, qui, ayant hérité du château de Chantilly, le fait reconstruire au goût de la Renaissance dont il a admiré les réalisations au cours des campagnes italiennes du roi. Les vitraux de l'église, donc, aux armes des Montmorency, commençaient à tomber en ruine quand Onésime Boudin, curé de la paroisse entre janvier 1877 et octobre 1884, les fait restaurer par un vitrailliste renommé, Auguste Steinheil, en 1882. Il bénéficie pour cela, parmi les dons des fidèles, de ceux de plusieurs membres de la famille d'Orléans, à commencer par Henri, duc d'Aumale, propriétaire du château de Chantilly et fils de celui qui fut jusqu'en 1848 le dernier roi des français, Louis-Philippe. Ces aides auraient permis, d'après des recherches faites par Philippe dans les archives de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Senlis, de soustraire les vitraux aux convoitives de l'archiprêtre de Senlis qui voulait les placer dans la cathédrale de Senlis dont les vitraux avaient été détruits lors de la révolution.
On peut lire sur le tympan de la verrière nord de l'église de Saint-Firmin cette inscription laissée par le restaurateur:
« CES VITRAVX PRESQUE DÉTRUITS PAR LA SVITE DES ANS
ONT ÉTÉ RESTAURÉS PAR LES SOINS DE MR LE CVRÉ AVEC LES DENIERS DE L'ÉTAT ET CEVX DES FIDÈLES
MR BOVDIN CVRÉ. STEINHEIL DELINEAVIT. LE PREVOST EXCUDIT. ALLEAUME PINXIT. ANNO DOMINI MDCCCLXXXII ».
L'Oncle curé était "une grande gueule" qui n'hésitait pas à prendre publiquement position dans les affaires politiques quand il sentait menacée la tradition catholique. Ainsi s'était-il fait remarquer en prenant parti contre le candidat républicain aux élections municipales (qui devait d'ailleurs l'emporter). La même année (1881) il faisait circuler une lettre ouverte aux habitants de Saint-Firmin et de Vineuil, dénonçant avec véhémence le projet de loi visant à évincer les religieux du Conseil supérieur de l'Instruction publique (ministre de l'Instruction publique, Jules Ferry fait adopter la loi sur la laïcité de l'enseignement en mars 1882).
C'est un être ouvert au monde et à la culture, qui, ayant passé quelques années en Égypte comme missionnaire, encourage son jeune frère Albert à venir avec sa famille occuper un poste à l'administration du canal de Suez :
"Dans ces dernières années du XIXe siècle, le canal de Suez est encore français, et son administration propose de nombreux emplois : après quelques mois d’enseignement des Lettres dans un collège religieux, ton père y fera son chemin, jusqu’à atteindre de hautes responsabilités : sur l’une des photos du premier album familial, il pose auprès de l’administrateur général." (Philippe, Un passant dans le siècle)
LES ANNÉES D'ÉGYPTE
Albert-Xavier BOUDIN et Jeanne LECONTE
Pierre est né à Port-Saïd, en Égypte, le 11 mai 1911.