Louis VERSTRAET s'inscrit modestement dans la grande et la petite histoire de tous ceux qui ont rêvé, réfléchi et travaillé au projet de relier par voie navigable la mer Méditerranée et l'Océan Atlantique.
En 1666, le texte fondateur de la construction du futur Canal du midi est signé par Louis XIV. '' Edit du Roy pour la construction d'un Canal de communication des deux Mers, Océane et Méditerranée, pour le bien du Commerce et autres avantages y contenus''. Il ordonne la construction de l'ouvrage et définit les droits et devoirs du futur Seigneur du Canal de Communication des Mers, appelé aussi Canal Royal du Languedoc. (image de l'Edit royal)
Rendu par Bonaparte, le 10 mars 1810, un décret précise, dans son article 1, la consistance du domaine du canal cédé, le 21 juillet 1809 à une société commandite par action nouvellement créée sous le nom de "la Société du Canal du Midi". Les droits de propriété seront divisés en mille actions de 10 000 francs chacune. Les actionnaires pourront percevoir et partager à leurs profits, les droits de navigation conformément aux tarifs en vigueur. La publication de ce décret fera également perdre au canal son nom de ''Canal Royal de Languedoc'' pour celui de ''Canal du Midi''.
Le Canal latéral à la Garonne: Par l'affiche ci-contre, le Préfet Barennes, Préfet de la Haute-Garonne annonce l'ouverture des travaux pour la construction du Canal latéral à la Garonne. Cette affiche a valeur d'ouverture d'une enquête d'utilité publique. Les travaux commenceront réellement en 1838. La chronologie de la construction et de l'ouverture des différentes sections du Canal latéral à la Garonne commence par ''l'Ordonnance (du 17 décembre 1828) qui autorise une compagnie, représentée par le Sieur Magendie, mais agissant en réalité pour le Sieur Doin, à dresser les projets d'un canal latéral à la Garonne''. Commencé en 1838, le canal latéral à la Garonne est progressivement ouvert à la navigation de Toulouse à Montauban en 1844, Moissac en 1845, Agen en 1849, Baïse en 1852 et enfin jusqu'à Castets-en-Dorthe en 1856. Le coût total des travaux du canal et de ses annexes (canal Saint-Pierre à Toulouse et les écluses de descente en Tarn) s'élèvera à 211 140.95 Francs (valeur 1860).
Même si la Canal du Midi et le Canal Latéral ouvraient à la navigation une voie entre les deux mers, les ouvrages réalisés ne répondaient pas techniquement aux besoins économiques de la région du Sud-Ouest, ni, à l'échelle nationale, aux enjeux économiques, politiques et stratégiques d'une véritable voie "maritime", à fort tirant d'eau et pour de gros tonnages, "entre les Deux-Mers"... Aussi les projets d'envergure continuaient-ils à enthousiasmer autant les politiques que les ingénieurs. En 1870, la France de Napoléon III essuie de cuisants revers face à la Prusse, et perd l'Alsace et la Lorraine. Il est important de relever de grands défis, de prouver la puissance de la France. La politique coloniale est en pleine expansion. Le Canal, tel qu'on le veut alors, augmenterait considérablement le poids de la France en Europe et dans le monde.
Un document, trouvé dans les archives de Maurice ALLIOT, extrait d'une publication intitulée la "Bibliothèque du Peuple" souligne le rôle qui devait être celui du Canal des Deux-Mers, en rappelle l'historique, et évoque le rôle joué par Louis Vertraët de 1885 à 1910. Les lignes qui suivent résument les pages 48 à 50 de ce document, auxquelles on peut avoir accès directement (pages numérisées) en activant les liens indiqués à la suite de ce résumé.
Résumé:
Avant que ne soit évoqué le projet de Canal des Deux-Mer, celui qui devait joindre la méditerranée et l'océan atlantique, on connaissait le canal du Midi joignant Narbonne à Toulouse, sur 241 km de long, oeuvre de Riquet, sous Louis XIV. A la fin du 17e, Vauban eut bien l'idée de relier par canal Toulouse à Moissac, où le Tarn rend la Garonne navigable. Mais ce n'est qu'en 1856, sous Napoléon III, que le canal latéral de 183 km répondit à cet objectif. Mais la concurrence du rail devint très forte, surtout quand la Compagnie des Chemins de Fer du Midi obtint la gérance du canal latéral et du canal du midi en 1858, établissant des tarifs de passage tellement dissuasif que le rail ne pouvait qu'y gagner! Malgré le rachat des droits par l'Etat, les canaux ne furent qu'insuffisamment entretenus et utilisés, alors que se développaient partout les voies de chemin de fer...
L'ouverture du canal de Suez relance des projets de canaux sur le sols français, destinés à relier les deux mers: un ingénieur, M. de Magnoncourt, propose de creuser entre Rochefort et Marseille. Un contre-projet, lancé par un certain M. Lecomte, propose Arcachon et Sète, en utilisant les ouvrages existants, le canal du Midi et le Canal latéral à la Garonne. Peu de temps avant la guerre de 1870, M. Tissenier reprend l'idée, mais place l'arrivée du canal à Narbonne.
Pendant ce temps, le Canal de Suez connaît un grand succès: C'est pourquoi au début de la IIIème République, tous les partis politiques font du canal des Deux-Mers un argument électoral. Faire de la France le centre du transit maritime en Europe occidentale est une réponse à la perte de l'Alsace Lorraine! Après la défaite contre la Prusse de 1870, la conquête coloniale représente un moyen opportun de ranimer le sentiment national. La France a alors besoin de projets audacieux, comme celui du chemin de fer transsaharien, reliant l'Algérie au Soudan, projet qui, comme celui du Canal des Deux-Mers, essuya bien des revers avant d'être inauguré en 1914. Aldolphe Duponchel s'est battu pour le Transsaharien sans en voir l'issue, comme Louis Verstraet va se battre pour le Canal. C'est pourquoi l'auteur de l'article de la Bibliothèque du Peuple appelle Louis Verstraët "le Duponchel du Canal des Deux-Mers"! (p. 50). D'après cet article, d'ailleurs, le "projet Verstraët" et le "projet Duponchel" sont nés à la même date, 1878. C'est Louis Verstraët qui à cette date convainc Freycinet, Président du Conseil, et Duclerc, Vice-président du Sénat et se voit confier la responsabilité d'une Société d'études du Canal maritime de l'Océan à la Méditerranée: En 1880, cette société présente un avant-projet avec demande de concession. Les assemblées politiques et économiques du Sud-Ouest sont favorables au projet, et Freycinet le soutient. Louis Verstraët a le soutien des amiraux qui jugent utile en cas de guerre un passage entre les deux mers: La France est le seul pays avec la Russie qui, disposant de côtes sur deux mers, n'a pas de communication directe entre elles. L'Allemagne est en train de construire le Canal de Kiel, et Ferdinand de Lesseps, fort de son succès à Suez, s'apprête à ouvrir l'isthme de Panama... Mais Panama ne va pas servir plus longtemps le projet Verstraët. Car certains de ceux qui sont chargés d'enquêter sur le bien fondé du projet ont des intérêts dans le financement de Panama, et craignent la concurrence auprès de l'épargne française!!
Son premier projet rejeté, Louis Verstraët ne se décourage pas, présente un nouveau plan en 1884. Lui et ceux qui le défendent visent "l'anéantissement de la prédominance anglaise dans la Méditerranée et la liberté rendue à tous ses riverains", la puissance coloniale anglaise et son hégémonie étant un autre des obstacles à la réalisation du projet. Mais là encore, le hobby des Ponts et Chaussée, qui a déjà conduit la première attaque, a raison de celui-ci.
La société du Canal se remue, pétitions, conférences, articles se succèdent. Le Phylloxéra crée des dommages dans le Sud-Ouest. Une Société nationale d'Initiative et de Propagande pour le Canal des Deux-Mers seconstitue à Toulouse, où est organisé en 1890 le Congrès du Canal des Deux-Mers. Beaucoup de politiques, quelle que soit leur opinion, sont favorables: Paul Doumer, Jean Jaurès, Georges Leygues, et d'autres parlementaires, notamment du midi de la France. Mais, après les Ponts et Chaussées, c'est au tour de la Compagnie des Chemins de fer de faire obstacle en jouant de son influence sur les commissions extra parlementaires chargées d'étudier la mise aux enquêtes du projet. Pourtant, à la Chambre, s'est constitué un groupe parlementaire du Canal des Deux-Mers. Mais c'est maintenant au parlement lui-même, et non plus seulement dans les commissions, que l'opposition se déploie.
En 1905, la Chambre finit par voter la mise aux enquêtes du projet. C'est une première victoire! Mais, 5 ans après, le Comité technique dépose un rapport qui torpille le projet. Louis Verstraët ne peut supporter cet échec. "Riquet avait convaincu Louis XIV, Lesseps Napoléon III; Verstraët ne put convaincre les parlementaires et les fonctionnaires de la IIIème République" dit l'article de la Bibliothèque du Peuple.
Il faudra attendre 1928 pour que renaisse une Société d'études techniques et économiques pour l'Aménagement du Canal des Deux-Mers (S.T.E.A.C.). Le projet Verstraët est repris. Mais l'histoire va se répéter: refus de concession, Congrès à Toulouse, à la Chambre et au Sénat, constitution d'un Groupe de Défense du Canal des Deux-Mers comptant la plupart des parlementaires du Sud-Ouest.... On en reparlera encore, plus tard....
Accès au pages du document: page 48, page 49, page 50, page 51, page 52, page 53.
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Site http://www.canalmidi.com
Réalisé par un enseignant passionné par le Canal du midi, ce site à la fois culturel, pédagogique et touristique fournit quantité d'images et de commentaires à qui s'intéresse au sujet. On y trouve, dans une partie historique traitant des "autres projets" les études successivement entreprises par les adeptes d'un grand "Canal des Deux-Mers".
Extrait: "Projets de Canaux des 2 mers"
"Paul Riquet a été traité de fou lorsqu'il a entrepris de creuser un Canal de 240 km de long avec les moyens techniques du XVIIème siècle. Il réalisait ainsi un rêve qui remonte à l'antiquité. Le projet, au départ consistait à réaliser un Canal qui pouvait servir autant pour faire passer de l'Atlantique à la Méditerranée des bateaux transportant des marchandises que des navires de guerre. Mais les dimensions de l'ouvrage, n'ont en fait jamais permis d'envisager autre chose que le transit marchand.
200 ans après que le Canal Royal ne soit achevé, de nouveaux projets de Canal inter-océanique de Bordeaux à la Méditerranée ont vu le jour. Pendant près de 60 ans, de 1880 au début de la deuxième guerre mondiale, plusieurs réalisations furent étudiées. L'idée était de réaliser un Canal similaire à ses homologues de Suez ou de Panama, afin de faire circuler les plus grands bateaux de l'époque, aussi bien civils (paquebots) que militaires (cuirassés).
La première de ces études chiffrée date de 1880. Elle a été présentée par le sénateur Duclerc qui allait devenir plus tard président du conseil des ministres. Il prévoyait 38 écluses de 45 m de long et 8,5 de profondeur. L'alimentation en eau était prévue grâce à des réservoirs creusés dans les hautes vallées des Pyrénées. Ce projet reçut l'avis défavorable d'une commission d'experts en 1882.
Un second projet voit le jour de 1885 à 1910. L'ingénieur Louis Verstraët reprend l'étude précédente en agrandissant considérablement les dimensions : 70m de large, 10m de profondeur, 13 écluses munies d'ascenseurs, une alimentation en eau prise dans la Garonne ainsi que grâce à de gigantesques réservoirs d'eau prélevée dans les Pyrénées et le Massif Central. Le projet est très avancé, soutenu par de nombreux hommes politiques mais en 1910, un comité technique émet un avis défavorable qui entraînera le suicide de son inventeur.
Le troisième projet sera le plus grandiose. C'est en 1928 qu'une Société d'étude technique et économique pour l'aménagement du Canal des Deux Mers élaborera un Canal gigantesque. On veut que le canal puisse permettre le passage des plus grands bateaux civils (les paquebots comme le Normandie ou le France) mais aussi militaires (cuirassés de 35000 tonnes comme le Richelieu ou le Jean Bart). Les objectifs étaient militaires et surtout économiques avec le développement de l'activité industrielle dans tout le Midi de la France, l'eau servant aussi à irriguer des milliers d'hectares de terres agricoles. Les dimensions titanesques de l'ouvrage : largeur de 150 à 250m pour une profondeur de 13,5m. Le point de départ devait se situer dans la Garonne à 12 km en amont de Bordeaux pour se terminer dans les eaux de la Méditerranée au sud de Narbonne. 14 biefs seulement étaient prévus séparés par des écluses composées de 4 biefs de 22,5m de profondeur mesurant de 120 à 390m. Elles devaient fonctionner 24h/24. Les 100 à 150 millions de m3 d'eau devaient être pompés dans la Garonne. Son financement était calculé sur la base d'un trafic de 100 millions de tonnes soit la moitié du canal de Suez. La crise économique du début des années 30 puis les troubles en Europe qui découlèrent sur la seconde guerre mondiale scellèrent la destinée de ce projet pharaonique qui restera définitivement dans les cartons...
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Mais il est temps de donner la parole à Louis VERTRAET lui-même.
Voici donc quelques extraits d'une conférence faite à Bordeaux, le 5 mai 1902 (ce type de conférence, Louis Verstraët en a fait bien d'autres, notamment dans d'autres grandes villes du Sud et du Sud-Ouest): celle de Bordeaux fait partie d'une brochure plus importante publiée avec cette couverture:
NB. Seuls figurent ci-dessous quelques extraits significatifs du dossier. Pour une lecture approfondie de celui-ci, reportez-vous à la partie du site intitulée PERSONNAGES, LIEUX ET EVENEMENTS, CANAL DES DEUX-MERS, Conférence de Bordeaux. La conférence est intégralement retranscrite, mais divisée, pour une lecture plus aisée, en plusieurs parties regroupant des chapitres de la conférence.
On trouve dans les exposés de cette Conférence, de véritables "harangues" adressées aux gouvernants sur l'immobilisme de l'Etat français par rapport au percement nécessaire de ce Canal pour les excellentes raisons qui sont démontrées par l'auteur, par rapport aussi aux avancées des autres nations (Allemagne ou Angleterre entre autres), des précisions sur le tracé, les dimensions, les écluses, les coûts, les recettes attendues, l'alimentation en eau du canal...etc, l'exposé des motifs: intérêts d'ordre social, économique, militaire, ...etc, puis l'examen des oppositions faites au projets ou des adhésions qu'il rassemble...
Louis VERSTRAET produit aussi dans cette brochure des articles de journeaux publiés à l'issue de ses conférences: leur lecture permet de prendre connaissance des plus grandes lignes du projet, et de les voir commentées.
Ensuite sont présentés dans la brochure des textes annexes présentés par L. VERSTRAET, au nom de la Société Anonyme du Canal des Deux-Mers, à différentes instances locales et nationales, des extraits de rapports de ces assemblées ou des commissions d'étude du dossier.
Extraits de la Conférence faite le 5 mai 1902 à l'Athénée, à Bordeaux
Conférence à Bordeaux du 5 mai 1902
Dans son préambule, Louis Vertraët remercie les participants, rappelle la nécessité de l'exécution du Canal, les enjeux pour la France, pour son agriculture, son industrie, ses emplois, sa liberté de commerce, ses colonies, ses capacités militaires:
MESDAMES, MESSIEURS,
C'est avec un vif sentiment de reconnaissance que j'apprécie l'honneur de prendre ce soir la parole devant vous.
Votre présence ici est une preuve d'intérêt que vous portez tous à l'œuvre importante, si française, du Canal des Deux-Mers.
Avant d'aborder mon sujet, permettez-moi d'adresser mes remerciements à M. Périé, conseiller général, qui nous a fait l'honneur d'accepter la présidence de cette réunion, à M. Henri Bordes, qui l'accompagne, à vous tous, Messieurs, qui avez répondu à notre invitation et surtout à vous, Mesdames, dont la gracieuse présence est pour moi une marque de délicate sympathie qui me garantit, dès le début de cet entretien, l'indulgence et les encouragements dont je vais avoir besoin.
Tout a été dit et redit sur le Canal des Deux-Mers; les sceptiques, les ignorants, les indifférents, et ils sont nombreux en France, l'ont qualifié de folle utopie, comme les sceptiques de l'époque de Riquet qualifiaient le canal du Midi; les patriotes clairvoyants en ont démontré la nécessité, au point de vue social, commercial et national, et l'État, se drapant dans une opposition incompréhensible, n'a rien fait pour favoriser son exécution et n'a rien voulu faire, attendant les événements, comme en 1870, et traitant de prophètes de malheur, les hommes dévoués qui en poursuivaient la réalisation.
Aujourd'hui, il est impossible aux gens de bonne foi de contester, que la France ne traverse une des crises les plus graves de son histoire; ses amis se comptent, mais ses ennemis, les envieux, les jaloux, les concurrents industriels et commerciaux surtout, sont légion. Nous subissons une crise industrielle, commerciale, agricole et maritime, redoutable par sa durée, pour les intérêts de tous, mais qui pèse plus lourdement encore sur la classe laborieuse.
Autrefois la France dominait le monde, par son génie artistique et industriel, par la générosité de caractère de ses enfants, par leur loyauté, par leur bravoure chevaleresque, par le succès de leurs armes. Au moment actuel, tout cela est changé; notre devoir est donc de doter le pays des instruments capables de le relever, de le sauver, tant dans ses intérêts économiques que dans la défense de son territoire et celle de ses colonies, pour l'empêcher de déchoir et de sombrer.
Affranchir notre pays du tribut payé à l'étranger pour l'achat de nos houilles, pour le transport de nos matières premières et de nos produits fabriqués, rendre à notre agriculture, à notre industrie, à notre Commerce, leur ancienne prospérité, la vie et le mouvement à nos ports déserts, ressusciter notre marine marchande expirante, ranimer l'activité de nos chantiers de constructions, doubler la puissance de notre flotte militaire, garantir un travail constant aux classes laborieuses, assurer l'indépendance de la diplomatie française dans toutes les parties du monde, tel est le but que nous poursuivons depuis un quart de siècle, sans défaillance, en réclamant l'exécution du canal des Deux-Mers.
C'est pour atteindre ce but que je suis venu vous demander votre appui, à vous collectivement, sans distinction de parti politique, car, dans cette question, il ne peut y avoir qu'un seul parti politique qui résume tous les autres, celui des intérêts de la Patrie, et de celui-là, vous en êtes tous. Voilà pourquoi je suis devant vous pour remplir un grand devoir, ranimer, entretenir votre confiance en la réalisation de notre œuvre, votre dévouement à cette cause qui est celle de la France et beaucoup aussi celle du port de Bordeaux, le plus intéressé au succès de l'entreprise.
Ensuite, dans un rapide historique, il rend hommage à Riquet qui sous Louis XIV créa le Canal de Midi, et déplore que depuis lors "nous n'avons pas eu le bonheur de rencontrer un pareil parrainage. Après Riquet, d'autres ingénieurs ont repris ses idées, mais le projet n'a réellement pris corps qu'avec les études, les plans, les devis que, sous le nom de projet Duclerc-Lepinay, notre Société a soumis, pour la première fois, à l'administration en 1880, et qui, depuis, a fait l'objet de l'examen de cinq commissions officielles. A la suite de quelques critiques de ces commissions, nous modifiâmes les tracés en 1884 et 1887, en tenant compte de tous les progrès réalisés à l'étranger dans la construction des canaux maritimes et nous avons l'espoir que, maintenant, ces projets élargis et perfectionnés seront définitivement adoptés par les pouvoirs publics, car c'est à eux qu'appartiendra la solution suprême après le résultat des enquêtes qui nous ont été promises par le ministre Freycinet, dès 1886".
Le tracé du canal est exposé, avec 2 variantes concernant la partie la plus orientale, avec 2 variantes possibles, avec un débouché sur l'Océan soit au nord par Bordeaux, soit au sud, par le bassin d'Arcachon.
L. Verstraët insiste sur le fait qu'aucun subside n'est demandé à l'Etat, qui se trouve en mauvaise posture: "l'Etat, malgré son bon vouloir, a été obligé lui-même, pour ses dépenses courantes, d'en arriver à la conversion de la rente avant de recourir à un emprunt probable prochainement"...
A propos des ECLUSES, dont le nombre doit être le plus réduit possible, Louis VERSTRAET, dans des rapports précédents, avait déjà démontré la possibilité d'utiliser des ASCENSEURS: Son idée était apparue insensée. Alors, voici ce qu'il dit maintenant à Bordeaux, sans ménagement pour les gouvernants:
Mais, direz-vous, pour franchir le faîte de Naurouse, situé à 197 mètres au-dessus du niveau de la mer, il faudra un nombre considérable d'écluses! Les adversaires du canal, malgré nos affirmations contraires, les portent toujours à 62, et ces 62 écluses auraient évidemment rendu le canal presque impraticable à la Grande navigation qui, pour couvrir ses nombreux frais, exige surtout l'économie de temps. Rassurez-vous, ces 62 écluses n'existent plus que dans leur imagination: elles ont d'abord été réduites à 37, puis à 22 par l'adoption des écluses de 18 mètres de chute et, par la suppression de quelques courts biefs, elles seront ramenées à 16, peut-être même à 12, grâce à l'emploi des Ascenseurs. La Commission de la Marine a pu les voir fonctionner en Allemagne. A l'aide de ces ascenseurs, le passage d'un navire, d'un bief dans l'autre, à une hauteur moyenne de 18 mètres, ne demande que 10 à 12 minutes, dont 6 minutes pour l'entrée et la sortie et 3 min. 1/2 pour les manœuvres relatives à l'ascenseur. Les dépenses occasionnées pour le passage d'un navire se montent, tous frais compris, à 2fr.50. Nous avions déjà proposé l'emploi des ascenseurs en 1887; mais à cette époque, les commissions officielles déclarèrent que c'était une gigantesque utopie. Il a fallu que notre idée traversât le Rhin, que l'audace allemande les mît en pratique pour que, la preuve de leur emploi étant faite pour de grands navires, les ingénieurs français se décidassent à les considérer comme éventuellement utilisables. Il en est malheureusement ainsi pour la plupart des inventions françaises qui ne reviennent chez nous qu'après avoir enrichi les étrangers, grâce à notre routine administrative toujours jalouse des progrès réalisés par l'initiative privée.
(cliquer ici pour le texte complet des chapitres IV et V)
Louis présente des données précises sur le trafic attendu, les dépenses de construction et d'entretien, les recettes, l'alimentation du canal. Il met en avant non seulement les profits économiques directs tirés de cette navigation maritime du canal, mais aussi ses bienfaits indirects pour les régions traversées et pour le pays en général, profits économiques mais aussi politiques.
Au chapitre XI du compte rendu de la conférence est approfondie cette question fondamentale et essentielle: qu'est-ce qui rend si nécessaire le percement du Canal des Deux-Mers? Les motifs sont multiples, clairement identifiés et justifiés dans le texte intégral. Extraits:
"...au moment où la France paraît disposée à faire le plus énergique effort pour compléter et perfectionner son réseau de navigation intérieure, vous paraîtra-t-il, comme à nous, impossible que, par une hostilité irréductible de l'administration des travaux publics, on pût laisser de côté la voie qui, commercialement, sera la plus profitable à son industrie, à son commerce, à sa marine marchande, à ses Compagnies de chemins de fer, et politiquement la plus nécessaire pour sa marine militaire, pour sa sécurité, pour sa liberté d'action au dehors, pour sa puissance, pour son prestige et pour sa gloire".
.... (aspect social) "Il dépend donc du gouvernement d'ouvrir un véritable chantier national de plus de 400 kilomètres de longueur, sur lequel 50.000 ouvriers trouveraient du travail pendant 4 à 5 ans, sans mortes-saisons, sans qu'il en coûtât un centime à l'Etat, en accordant la déclaration d'utilité publique à l'œuvre du Canal des Deux-Mers; tous nos plans sont prêts pour l'exécution. Le travail de creusement achevé, quels nombreux ouvriers ne faudrait-il pas ensuite pour l'exploitation! N'est-ce pas la disparition de la mendicité dans tout le Sud-Ouest? Quelle prospérité n'apporteraient-ils pas, ces 900 millions dépensés sur tout le parcours? J'en fais juge le pays tout entier, et, si le travail c'est la liberté pour les ouvriers, c'est aussi la sécurité pour leurs vieux jours".
... (aspect commercial) "La France n'arrive plus qu'au 4e rang et avec des différences considérables; si même on tenait compte de la proportionnalité par rapport à la population, nous arriverions après les Pays-Bas, après la Belgique, c'est-à-dire au 6e rang! Voilà où nous sommes tombés par la faute de nos gouvernants qui s'occupent beaucoup plus de mesquines questions politiques que des véritables intérêts économiques du pays".
... (marine marchande) "Si notre commerce extérieur est en décadence, la situation de notre marine marchande est plus lamentable encore. Le tonnage de notre flotte diminue chaque année, tandis qu'à côté de nous, les nations rivales plus habiles et plus pratiques voient le nombre et le tonnage de leurs navires grandir sans cesse, et c'est toujours l'Allemagne que nous trouvons au premier rang. Il y a quelques années, nous occupions le second rang dans la liste des flottes commerciale; nous sommes aujourd'hui descendus au cinquième pour le tonnage, malgré le grand nombre de nos navires, à cause de leur faible tonnage.
... (rôle de l'Angleterre) "Avec ses 36.000 navires, l'Angleterre possède plus de la moitié du commerce du monde. Partout où il y a une rade, un port, une crique quelconque, de l'eau salée en un mot, on y rencontre infailliblement des navires anglais avec du charbon anglais ou des cotonnades anglaises. C'est une tâche d'huile qui s'étend sur le globe et qui menace la liberté de tous les peuples. Malheureusement, comme nous venons de le dire, il n'en est plus de même de la marine française, elle va chaque jour en déclinant, et l'influence de la France au dehors suit mathématiquement la décadence de sa marine marchande.
"Le Canal sera l'instrument de notre relèvement industriel, commercial et maritime. Grâce à lui, les villes situées sur les deux rives, soit 900 kilomètres, seront rapidement transformées en ports maritimes et en centres industriels importants, et notamment Agen, Toulouse, Carcassonne et Narbonne. Les régions voisines, riches en minerais de toute sorte, verraient s'élever des usines métallurgiques, approvisionnées en charbon par les bassins houillers français; Aubin, Decazeville, Carmaux, Graissessac, pourraient battre, dans le bassin de la Méditerranée, les charbons anglais dont ils ne pouvaient jusqu'ici soutenir la concurrence, faute de moyens économiques de transport. Le Canal fera enfin, des départements essentiellement et uniquement agricoles aujourd'hui, des centres manufacturiers importants et retiendra dans leurs foyers, les ouvriers qui s'expatrient en si grand nombre vers les grandes villes où ils ne trouvent souvent que des déboires et la misère pour eux et pour leurs familles.
L'Agriculture, de son côté, qui traverse une crise si intense, verra renaître la prospérité. Dans les départements où la culture des primeurs est si étendue, et pourrait décupler, grâce à un système bien aménagé d'irrigations, la vente à l'exportation, la seule productive, et surtout à l'Angleterre, prendrait des proportions inouïes. La Grande-Bretagne en achète pour plus de cent millions par an, en Espagne, en Italie, en Égypte, sur les côtes de l'Adriatique, et nul doute que ses navires, en franchissant le canal, n'en achètent la plus grande partie chez nos cultivateurs. Vous voyez quelle source de prospérité pour notre agriculture! Il en sera de même pour la Viticulture: la mévente des vins ruine les vignerons; leurs chais sont encombrés et l'avilissement des prix ne paraît pas près de disparaître. Ce qui manque à la viticulture française, c'est la vente à l'exportation, et quel meilleur moyen d'y arriver que ce passage incessant des navires étrangers à Bordeaux et à travers les régions vinicoles où ils ne manqueraient pas de s'approvisionner".
La suite de la conférence (chap XII) traite des grands travaux que les pays étrangers ont su mettre en oeuvre pour moderniser et faire évoluer leur navigation intérieure:
Canal de Suez. - Le canal qui nous intéresse le plus a été exécuté avec de l'argent français; il se trouve aujourd'hui, par suite d'une faiblesse, irréparable peut-être, de notre gouvernement, entre les mains des Anglais, nos amis comme tout le monde sait; c'est le canal de Suez dont le commerce bordelais espérait retirer de si grands avantages. Comme nous, M. de Lesseps a dû lutter non seulement contre les tracasseries anglaises, mais surtout contre les hostilités, contre les objections des ingénieurs français, contre les difficultés de toute nature.
On prétendait, comme pour le Canal des Deux-Mers, que le canal n'aurait jamais d'eau; et cependant depuis qu'elle y est entrée, elle ne semble pas vouloir s'en aller; - qu'il s'ensablerait, qu'il n'aurait pas de trafic, et cent autres objections, et, pendant que les ingénieurs lui prédisaient un échec, M. de Lesseps traversait un beau matin l'isthme de Suez avec une escorte de souverains et avec le drapeau français au grand'mât de son navire (...).
(en Allemagne) - "Pendant que le ministère français entassait commissions sur commissions, dans le but déguisé de faire échouer le Canal français, les Allemands, plus clairvoyants des nécessités de l'avenir, se hâtaient de construire leur canal de Kiel avec les milliards de la rançon française. En six années le travail a été terminé. (...)
L'empereur Guillaume déclarait que le canal avait doublé la force de la marine militaire allemande.
Après Kiel, sont venus les immenses développements du port de Hambourg pour lequel on a dépensé 200 millions et qui est aujourd'hui un des plus considérables de l'Europe; puis, toute une série de canaux qui permettent aux navires de déposer, au pied des usines, les matières premières, d'y enlever ensuite les marchandises fabriquées pour les porter, sans transbordement, dans toutes les parties du monde".
(en Angleterre) ..."ils ont construit, à coup de centaines de millions, leur canal de Liverpool à Manchester, sans éprouver la crainte d'apporter des perturbations dans les pays traversés. Et cependant le canal de Manchester traverse un pays autrement habité, morcelé, sillonné de voies ferrées que ne l'est notre Languedoc. Pour une longueur de 57 kilomètres, ce canal a cinq écluses, soit une écluse par 11 kilomètres, c'est-à-dire cinq fois plus que n'en aura le Canal des Deux-Mers, ce qui n'empêche pas des navires de 4.000 à 5.000 tonnes d'y passer tous les jours.
(...) Le commerce de Manchester accuse, pour lui seul, une économie de 30 millions sur les anciens prix de transport de ses produits par chemins de fer. Deux ans après l'ouverture du canal, les recettes avaient augmenté de 57%.
A l'image des métropoles étrangères qui ont tiré le meilleur profit de ces grands travaux, Bordeaux peut voir son avenir assuré par le canal des Deux-Mers (extrait):
(...) "Nous sommes bien en France la porte de l'Europe: mais cette porte, la routine administrative l'a fermée à double tour, la clef en est perdue: On ne la retrouvera que par le Canal des Deux-Mers qui nous rendra le transit du commerce de l'Occident avec l'Orient, et cette clef Bordeaux peut et doit la devenir.
50 millions de tonneaux passent annuellement à 400 lieues des côtes de France, pour gagner, par Gibraltar, la Méditerranée et l'Extrême-Orient: si le Canal des Deux-Mers existait, la moitié au moins, comme l'a démontré après nous M. Honoré Leygue, emprunterait la voie du Canal, passerait par Bordeaux, et de cet immense mouvement commercial naîtrait pour votre port une ère de prospérité comme il n'en aurait jamais vue; il redeviendrait un des ports les plus florissants du monde" (...).
Si tels sont les enjeux, comment expliquer que les dossiers présentés et argumentés depuis plus de vingt ans par la Société du Canal, votées par de multiples Commissions et instances, aient été jusqu'à présent inefficaces? dans la partie qui suit, Louis identifie les OPPOSITIONS principales: l'influence néfaste du Canal de Panama qui a monté contre son projet un groupe très influent d'entrepreneurs des Ponts et Chaussées qui s'étaient investis à Panama, la Compagnie des Chemins de Fer qui à travers ses représentants pense de l'intérêt du développement du rail le statu quo sur la navigation intérieure (bien à tort démontre Louis), et enfin les l'influence anglaise dont la suprématie sur les mers serait mise en cause si Gibraltar n'était plus le passage obligé (extraits):
1° Nous disons à l'affaire de Panama.
Oui, c'est parce qu'une partie des anciens dignitaires du corps des Ponts et Chaussées a été acquise à l'œuvre néfaste qui a ruiné tant de familles françaises. A peine une commission était-elle nommée, à peine ses membres étaient-ils connus, que les promoteurs du Panama s'empressaient adroitement d'attirer à eux les présidents et les rapporteurs de ces commissions et de les faire entrer dans leur comité technique avec des avantages pécuniaires considérables; c'est avec douleur que je constate ce fait matériel et vous pouvez en trouver les détails dans le discours que M. Bourrat, député des Pyrénées-Orientales, prononça à la Chambre dans la séance du 9 décembre 1897. Je pourrai en donner des preuves nombreuses, mais celle-ci qui est de notoriété publique est suffisante.
2° Chemins de fer.
La seconde opposition est due à l'influence des compagnies de chemins de fer, au syndicat de ces grandes Compagnies qui sont toutes-puissantes au Ministère des travaux publics et qui inspiraient les rapports hostiles au Canal. Dans la question du Canal des Deux-Mers, il ne s'agit cependant pas d'une lutte rétrécie entre les chemins de fer et les canaux, mais d'une concurrence internationale qui n'aurait du susciter aucune jalousie française.
Loin de diminuer leur trafic, le Canal des Deux-Mers leur en apporterait; il attirerait dans les eaux françaises une partie des 50 millions de tonneaux de marchandises qui passent aujourd'hui à 400 lieues des côtes de France, au grand détriment de ces mêmes compagnies de chemins de fer et de leur transit qui atteint à peine trois millions pour toutes les compagnies réunies alors que le port d'Anvers à lui seul fait plus de 300 millions de transit par an. Le transit serait une de leurs principales source de recettes et, par leur sourde opposition au Canal, elles le laissent se diriger vers les ports italiens et vers les chemins de fer de l'Europe centrale.
Il ne faut pas oublier cet axiome "que plus les transports sont nombreux, et à bon marché, plus la matière à transporter augmente", c'est la loi du progrès".
Quant à la concurrence des chemins de fer et des canaux, voulez-vous me permettre de vous citer ce que M. Holz, inspecteur général des Ponts et Chaussées en dit dans son livre "Sur la navigation intérieure en Allemagne : "L'antagonisme entre les chemins de fer et la navigation, tel qu'il existe en France, est un mot à peu près vide de sens dans l'Europe centrale, en Allemagne, en Autriche, en Belgique même, où les voies navigables sont regardées comme l'un des facteurs les plus puissants de la richesse du pays. Elles ouvrent des débouchés aux produits naturels du sol aussi bien qu'à ceux des industries qui sont venues chercher sur leurs rives la vie à bon marché; elles font ainsi naître des trafics nouveaux en même temps qu'elles déterminent souvent de grands courants de travail que les chemins de fer pris isolément seraient impuissants à provoquer. Mais ceux-ci en recueillent également le bénéfice et parfois dans une mesure plus large que le canal ou la rivière. Ce fait est général et se produit aussi bien en France qu'à l'étranger. En un mot, les voies ferrées et les voies navigables s'alimentent les unes par les autres: Il y a coopération et non concurrence." (...)
3° Quant à l'influence de l'or anglais, je ne puis en parler qu'avec une extrême prudence, la question étant très délicate, mais personne n'ignore que, quand il s'agit de ses intérêts politiques, l'Angleterre sait faire manœuvrer habilement sa cavalerie de Saint-Georges.
L'exécution du Canal des Deux-Mers est le cauchemar de notre voisine; elle comprend que son exécution mettrait fin à son insolente prédominence, non seulement dans la Méditerranée, mais sur toutes les mers du globe; elle comprend que la puissance de la flotte française, la seule qu'elle redoute, serait doublée, que notre diplomatie reprendrait toute sa liberté d'action et d'influence, que Gibraltar serait annihilée et, pour empêcher la France de conquérir de pareils résultats, elle n'hésite pas à sacrifier prodiguement ses trésors comme nous l'avons dit plus haut, un de ses agents n'a pas craint de déclarer: "Les Français veulent dépenser 800 millions pour leur Canal des Deux-Mers, nous dépenserons 1500 millions pour les en empêcher", et, jusqu'à présent, ils ont réussi!"
"Mais si le Canal des Deux-Mers a rencontré de violentes oppositions, il a recueilli d'innombrables ADHÉSIONS et un véritable plébiscite a été fait en sa faveur dans tous les départements français. Conseils généraux et municipaux, chambres et tribunaux de commerce, chambres syndicales et de nombreuses sociétés agricoles, industrielles et maritimes n'ont cessé de manifester pour demander son exécution. Il faudrait un volume pour faire connaître les millions d'adhésions que nous avons recueillies et reçues de toutes les parties de la France (...)"
Il faut maintenant absolument, que l'assemblée se prononce pour que les enquêtes, nécessaires selon la loi, permettent au projet d'être voté et adopté. L'enjeu, ne serait-ce qu'au point de vue de la SÉCURITÉ du pays, est important et l'urgence est là. On remarque au passage que Louis Verstraët, sans doute porté par l'air du temps, craint plus de la malveillance des anglais que des forces allemandes, qu'il a évoquées à d'autres moment (extrait du chap. XV):
" (...) Ceux qui regardent (...) vers l'avenir, prévoient que la situation actuelle de l'Europe est pleine de périls et que toutes les nations se préparent à la défense, malgré toutes les affirmations de paix.
Rappelons nous ce que notre imprévoyance, notre indifférence, nous ont coûté en 1870: vingt milliards, des flots de larmes et de sang et le démembrement du pays. (...). N'imitons pas nos pères et prenons sans délai les mesures nécessaires pour nous mettre à l'abri d'un désastre maritime; ces mesures vous les connaissez, il y a un quart de siècle que nous les proposons (...) si le Canal des Deux-Mers existait, s'il pouvait assurer la jonction, rapide et sans danger, de nos flottes de l'Océan et de la Méditerranée, notre puissance navale serait doublée. C'est l'avis de tous les officiers de marine, conscients des progrès accomplis par les nations rivales, et notamment de l'amiral Fournier qui a écrit des pages sensationnelles sur la nécessité militaire du Canal des Deux-Mers pour ruiner le plan stratégique de l'Angleterre, dont le but est d'enfermer notre flotte dans la Méditerranée et d'empêcher son passage à Gibraltar pour opérer sa jonction avec celle de l'Océan. (...) "Ainsi se trouverait tournée, à notre avantage exclusif, cette barrière formidable de Gibraltar, élevée par la vigilance de nos voisins d'Outre-Manche, à la sortie de la Méditerranée, pour séparer en deux tronçons nos forces navales du nord et du midi, assurer au contraire le libre passage des escadres britanniques de l'Atlantique à cette mer intérieure, dans le but d'y maintenir leur suprématie maritime et de garder la route directe des Indes par le canal de Suez (...)".
"Faisons-le donc au plus vite ce canal qui peut avoir une si heureuse influence sur l'avenir économique et politique de notre pays et qui cause de si vives alarmes à nos rivaux. L'inauguration de cette belle voie maritime, allant de l'Océan à la Méditerranée, serait une merveilleuse cérémonie qui ouvrirait d'une façon grandiose le XXe siècle (...)".
Il faut maintenant absolument, que l'assemblée se prononce pour que les ENQUÊTES, nécessaires selon la loi, permettent au projet d'être voté et adopté.
Posons la question telle qu'elle doit l'être. Il ne s'agit pas en ce moment de controverser sur l'adoption d'un tracé, ni d'ergoter sur les détails techniques de la construction, ni même sur le choix définitif des débouquements; il s'agit de savoir si le projet du Canal des Deux-Mers est utile au pays, s'il est indispensable à la défense nationale; il s'agit, d'accord avec les prescriptions de la loi, de consulter officiellement les populations intéressées à la construction du Canal qui doit traverser leur territoire, et pour cela il faut recourir aux enquêtes que, depuis 1836, le Gouvernement, par l'organe de M. de Freycinet, s'était engagé à nous accorder. Je vous ai démontré que toutes les Commissions, quelles que fussent d'ailleurs leurs réserves et leurs atténuations, avaient donné des réponses favorables sur toutes les questions soumises à leur examen.
1° - La Commission de 1880 a proclamé: - la possibilité de construction du Canal; - son utilité incontestable pour la flotte, en cas de guerre; - ses avantages pour la sécurité du voyage; - la vitesse de marche à 12 kilomètres et, à une majorité de 6 voix contre 4, le rapporteur a conclu à la mise aux enquêtes.
2° - La Commission de 1884 a fixé la dépense à 750 millions.
3° - Celle de 1887 a résolu les questions d'alimentation et de trafic,
4° - Les conclusions de la Commission de 1891, dite Commission Barthou, ont été magistralement démolies par le rapport, si documenté de M. Honoré Leygue; donc refuser aujourd'hui les enquêtes, après ce rapport de la Commission de la marine, serait un crime de lèse-patrie. Le Gouvernement ne voudra pas assumer la responsabilité d'un tel refus, il préférera la gloire d'avoir facilité, dans la mesure de ses moyens, l'accomplissement de cette grande œuvre nationale, et, d'autant plus que les enquêtes dégagent la responsabilité de tous: Gouvernement, ministres et Parlement. Il n'existe pas de motifs avouables pour les refuser, il en existe, au contraire, de considérables pour les ordonner immédiatement. C'est pour atteindre ce résultat, Mesdames et Messieurs, que je suis ici, et que je suis venu avec confiance vous demander votre concours, à vous, celui de vos représentants immédiats: sénateurs, députés, conseillers généraux et municipaux, dont l'appui peut être prépondérant auprès des pouvoirs publics.
Il ne faudrait pas donner à nos ennemis, par notre indifférence et notre apathie, dans une question aussi capitale pour nos intérêts militaires et commerciaux, le droit d'établir entre eux et nous une fâcheuse comparaison, à savoir que le despotisme se prête mieux au progrès que les gouvernements libres, et que nous sommes devenus, sous la République, incapables de réaliser une oeuvre de préservation nationale, de revanche maritime et !commerciale, en attendant l'autre! C'est à vous, c'est à nous, c'est au Parlement et au Gouvernement à leur prouver le contraire, et nous avons pleine confiance qu'ils le feront.
Enfin, terminant la Conférence, Louis Verstraët passe à la partie PÉRORAISON (extrait):
(...) Messieurs, (... il nous) appartient maintenant de conclure. L'heure est venue de sortir de notre fatale indifférence, de faire trève à nos discordes intérieures; nous avons encore un grand rôle à jouer dans la politique du monde, mais il est temps d'y songer, passons aux actes!
Vous savez que le Canal des Deux-Mers annihilera toutes les combinaisons politiques et économiques de nos rivaux, qu'il déplacera, à notre profit, la prépondérance anglaise dans la Méditerranée, qu'il assurera la prospérité de Bordeaux, de Toulouse et de tous les départements du Sud-Ouest, qu'il sera un instrument de travail puissant et d'apaisement social, j'en appelle à vous tous, aidez-nous, aidez-vous vous-mêmes et l'Etat nous aidera!
Donnez-nous aussi votre appui, Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés, vous nous l'avez toujours promis, faites honneur à vos engagements ; votre patriotisme nous est un sûr garant de votre dévouement à l'œuvre commune.
Se pourrait-il, quand toutes les nations étrangères travaillent fiévreusement à l'amélioration de leurs voies navigables, maritimes surtout, qu'il n'y eut qu'en France qu'on vit ce spectacle attristant de l'abandon d'une entreprise qui est le facteur essentiel de la prospérité commerciale et de la sécurité de la Patrie. (...)
Il y a deux cent trente-cinq ans que Louis XIV annonçait à la France l'exécution du canal de Riquet, il faut que dans six ans, en 1908, la République annonce au pays l'exécution du Canal des Deux-Mers et invite toutes les nations du monde à son inauguration. Quand une entreprise aussi grandiose ne demande aucun sacrifice à l'Etat, quand elle apporte, avec le salut du pays menacé par ses ennemis, la fin de la crise des affaires, qu'elle doit donner, pendant de longues années, du travail et de l'aisance à nos ouvriers, qu'elle ne présente, pour les gens de bonne foi, aucune difficulté d'exécution, il n'y a que les ennemis du pays qui puissent s'opposer à sa réalisation.
En terminant, je remercie notre honorable président, M. Périé, l'auditoire d'élite qui a eu la patience, la courtoisie de m'écouter si longuement, les dames présentes à cette réunion et en particulier la presse Bordelaise, à laquelle je rends un hommage mérité pour le concours si désintéressé qu'elle n'a cessé d'accorder à l'œuvre du Canal des Deux-Mers; merci à la ville de Bordeaux tout entière, à la capitale du Sud Ouest de la France dont je souhaite vivement la prospérité.
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M. Périé, président de la conférence, reprend la parole et, après une chaude improvisation, il fait voter à l'unanimité de tous les auditeurs présents, le vœu suivant :
VŒU
L'assemblée, après avoir entendu les explications fournies par M. Verstraët, ingénieur civil, administrateur délégué de la Société anonyme du Canal des Deux-Mers, plus que jamais convaincue de la nécessité et de l'urgence de la réalisation de cette grande œuvre nationale, constatant la praticabilité et les avantages du projet dont les données viennent de lui être exposées et, s'inspirant du rapport favorable déposé par M. Honoré Leygue au nom de la commission de la marine à la fin de la dernière législature, ainsi que de la proposition de loi de l'Estourbeillon, revêtue de la signature de 130 députés:
Emet le vœu que la Chambre, dès la rentrée et sans délai, reprenne le rapport et la proposition de loi et charge les députés de la Gironde de se réunir avec leurs collègues de la région du Sud-Ouest pour réclamer, dès l'ouverture de la session parlementaire, et obtenir la mise aux enquêtes immédiates des avant-projets déposés au ministère des travaux publics et qui ont déjà fait antérieurement l'objet de cinq rapports extra-parlementaires.
Pour accéder aux textes intégraux, ouvrez les liens ci-dessous, ou consultez dans la partie PERSONNAGES, LIEUX et ÉVÉNEMENTS consacrée au Canal des DEUX-MERS le texte intégral de la conférence et ses annexes.
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