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La Famille VERSTRAET

LOUIS DESIRE VERSTRAET

ET SOPHIE FACON

Première partie: La famille

Louis Désiré VERSTRAETSophie VERSTRAET, née FACON

Louis Désiré VERSTRAET (1833-1910) et sa femme Sophie, née FACON (1835-1903)

"Le 17 avril 1833 est né à Houplines, canton d’Armentières, arrondissement de Lille, département du Nord, Louis Désiré Joseph VERSTRAET, fils de Louis Félix François, âgé de 37 ans, Maître Tailleur et Marchand Epicier, et de Thérèse Joseph DESMAZIERES, son épouse." La déclaration s’est faite devant l’officier d’état civil de Houplines en présence de Jean-Baptiste Desmazières, Maître Tailleur à Armentières, frère de Thérèse, et de Sauveur Joseph Beaurepaire, instituteur à Houplines, ami de Louis Félix. (voir le document original)

Louis Désiré est, semble-t-il, le plus jeune et  le seul fils des enfants nés du couple, après Thérèse, Hortense, Louise Aldegonde, Charlotte et Philomène (mais Maurice a esquissé plusieurs arbres généalogiques des Verstraët, et dans certains, Thérèse est née après Louis, les autres filles restant les aînées).
Louis Félix VERSTRAET

Ci-contre le portrait de Louis-Félix-François VERSTRAET, né en 1796, le père de cette nombreuse famille. Il est donc, comme en fait foi l'acte de naissance ci-dessus, Maître Tailleur et marchand épicier à Houplines. La ville est située à 14 km de Lille. Frontalière de la Belgique, elle sera totalement détruite lors de la première guerre mondiale, le front passant en plein sur son territoire. Mais avant cela, grâce à la Lys navigable, l'industrie s'est développée de bonne heure, et en ce début de 19ème, c'est un centre textile important et une ville populeuse et prospère.

Parmi la descendance de Louis Félix et de Thérèse Desmazières, seuls Louis Désiré (que par commodité on appelera désormais Louis) et sa sœur Thérèse se sont mariés, l’un à Sophie FACON, l’autre à Jean-Baptiste BOUQUILLON. Thérèse a du avoir six enfants : Victor, Gustave, Maria, Malvina, Flore et Angèle.
Quant aux sœurs célibataires, on les appelle les "tantes d'Houplines", tout simplement parce qu'elles y sont restées et n'en bougent pas volontiers comme on le verra plus tard.

Ci-dessous, deux tantes d’Houplines, de gauche à droite, Louise et Charlotte:

Les tantes d'Houplines

Louis épouse Sophie FACON, née à Marquette (Nord) en 1835. Malvina, la première de leurs deux filles, est née en 1855. Marie, la seconde, est née le 24 mai 1857. Elle est la mère de Maurice ALLIOT. Entre Malvina et Marie a du naître un garçon qui n'a pas vécu.
Louis et Sophie, à la naissance de Marie, demeurent à WAZEMMES, canton de Lille, au n°27 rue de l’Eglise, comme en atteste l’acte de naissance de Marie. Wazemmes (prononcer « ouazemmes » : Quartier traditionnel des ouvriers du textile depuis le 19e, il n'a été rattaché à Lille qu'aux environs de 1860. C’est aujourd’hui l’un des quartiers les plus peuplés de la ville.

La photo ci-dessous est peut-être celle d'une réunion de famille: S’agit-il de Louis VERSTRAET et de sa femme Sophie, de Thérèse et de son mari Jean-Baptiste BOUQUILLON , entourés des tantes d’Houplines et des enfants des deux couples? Pas sûr.

La famille d'Houplines

Rien ne subsiste, dans les documents en notre possession du moins, de la jeunesse de Louis, ni de celle de sa femme Sophie. Par contre, la vie professionnelle de Louis, ingénieur curieux et passionné, est intéressante à redécouvrir. Nous lui consacrerons deux chapitres entiers: avec le premier (Louis VERSTRAET, l'industriel), on essayera de reconstituer comme un puzzle, à partir d'indications laissées par Maurice, une carrière étonnante, peuplée de personnages restés célèbres dans le monde des sciences et de l'industrie; Puis on s'intéressera au gros dossier du Canal-des-Deux-Mers, projet que Louis a défendu pendant 25 ans avec passion devant diverses assemblées régionales ou nationales...

Au cours de la vie professionnelle de Louis, la famille VERSTRAET s’est fixée d’abord dans le nord de la France, dont Louis comme Sophie étaient originaires. Puis cette activité les a entraînés vers la région parisienne: Charenton, Montrouge, Saint-Denis où les Verstraet ont habité longtemps au 30 rue de la Briche, ou Paris.

De Sophie VERTRAET, née FACON, il ne reste pas de souvenirs: Seul un portrait, celui d'une femme fortement charpentée, mais dont on ne sait rien: Quelle femme fut-elle, épouse d'un homme épris de science, fréquentant les milieux les plus éclairés de cette industrie sûre d'elle-même et de son succès? Quelle mère fut-elle pour Malvina, Marie? Maurice lui-même s'est interrogé. En 1977, il fait dresser par la mairie du XIe copie de l'acte de décès (cliquer pour lire) de sa grand-mère: A ce document, il a joint dans ses archive l'un de ses petits papiers sur lesquels il notait questions ou réponses sur ses ancêtres. Et là, à propos de Sophie Verstraët, il note: "côté FACON, je ne connais pas de parents... Y aurait-il eu des Lejeune, des Desmazières? Ils figurent sur le faire-part de décès..."

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Du côté de Malvina

C'était une femme magnifique, dit-on. Devenue Madame MENGUS, elle eut avec son mari Félix trois filles qui furent des cousines chères à Maurice, à Suzanne et à Thérèse ALLIOT: Gabrielle (Bligny), dite affectueusement "Gaby", née en 1878, Jeanne, restée célibataire, née en 1882 qui échange une correspondance nourrie avec ses cousins Alliot, et Suzanne (Robillard) née en 1886.

Félix Mengus est né en 1846 à Molsheim, en Alsace. Au moment de la déclaration de guerre de 1870 il est à Mulhouse. C'est de là qu'avec des camarades, il rejoint Lyon en passant par la Suisse, afin d'être incorporé dans la légion française d'Alsace-Lorraine. Après la guerre et la défaite française, il choisit de ne pas rester dans son pays natal désormais sous l'autorité de la Prusse. Comme d'autres, il part pour l'ouest de la France et c'est à la mairie de Rouen qu'il fait sa "déclaration d'option" en avril 1872.

Charles Félix Mengus et Malvina Verstraet

Félix et Malvina MENGUS.

L'article suivant, paru à Rouen lors du décès de Félix MENGUS, donne une idée de son rôle et de son implication dans cette ville de ROUEN dont il est devenu un notable:

hommage à Félix MengusOn apprend ici que Félix a choisi de s'établir à Rouen car il y connaissait "l'éminent Directeur des Ecoles Supérieures de Commerce et d'Industrie", Monsieur Bernardini, lui aussi originaire de Mulhouse. Félix devint donc "professeur de sciences commerciales, de correspondance et de comptabilité industrielles". Eloge est fait à "la finesse de son esprit, sa souriante bonhomie, sa parfaite droiture et son empressement à rendre service".
C'est un homme engagé et de conviction qui, après son adhésion au Comité républicain de le Seine Inférieure, entre au conseil municipal de la ville lors de l'élection du 9 janvier 1881. Il devient quelques mois plus tard l'un des principaux adjoint du maire, Monsieur RICARD, qui sera évoqué plus loin, d'ailleurs, dans un courrier écrit par la jeune Gabrielle MENGUS à son grand-père Louis Verstraet.

Coup de plumeFélix Mengus

Le 26 décembre 1885, Félix est nommé directeur de l'Octroi de Rouen, en remplacement de M. Hurault de Ligny, et prend ainsi la responsabilité de la surveillance et du contrôle des marchés, du respect des tarifs et des règlements, et de la perception des droits et taxes publics. Le "coup de plume" est celui d'un journal humoristique de l'époque.
Bien qu'il soit déjà atteint d'un "mal inexorable", il conduit cette charge avec succès jusqu'à sa retraite qu'il prend en 1920 (à 74 ans!). Il disparaît en 1924, à 78 ans.

La magnifique photo ci-dessous montre la famille MENGUS réunie. S'agit-il de leur demeure rouennaise? ou d'une autre propriété de la famille??

La famille MENGUS

Portrait de famille en 1905:
De gauche à droite : Malvina, Suzanne, Félix, Odette Bligny, fille de Gabrielle, Jeanne et Gabrielle.

Gabrielle  Jeanne MENGUS  Suzanne Mengus en 1905
de gauche à droite, Gabrielle, Jeanne et Suzanne.

Gabrielle, l'aînée des 3 filles de Félix et de Malvina, s'est mariée à Joseph Essonville-BLIGNY. Leur fille unique, Odette, est née en 1900. Elle s'est elle-même mariée avec Léonidas Collas, dit familièrement "Léo", grec d'origine. Celui-ci meurt d'une grave maladie dans les premières années du mariage. Odette refera sa vie en épousant en 1939 Charles BINAY, ancien membre de l'Ecole Centrale de Paris, fabricant de sucre à Attichy, dans l'Oise. Ensemble, ils adopteront une petite fille, Irène (Warick). Irène et Jean Hérard qu'elle épouse en 1962 donnent à Gabrille 2 arrière-petits enfants, Benoît et Emmanuel.

Odette et Léo
Odette et Léo

Jeanne, la seconde, a toujours été proche de Maurice et de Thérèse ALLIOT, même si elle a sept ans de plus que Maurice. Elle lui écrit fidèlement pendant avant et pendant la guerre - la première, car elle n'a pas connu la seconde... Elle se rend souvent chez son oncle et sa tante, rue de Reuilly à Paris. Jeanne est décédée en 1936, à 54 ans.

Suzanne, la plus jeune, a épousé André ROBILLARD, le 18 avril 1907, dans la cathédrale de Rouen. On sait que Maurice a fréquenté le couple à Caen, lorsqu'il y était en garnison au moment de la mobilisation en 1914. André est magistrat. Suzanne et André ont deux enfants, Lionel (qui lui-même en aura 3: Marie-Luce, Francis et Dominique Robillard) et Yvonne (restée célibataire (??). Puis le couple s'est établi à Paris, Boulevard des Batignolles.

Gabrielle est décédée à 89 ans, le 1er juin 1967. Quelques semaines plus tôt, en avril, sa soeur Suzanne écrivait à Maurice et à Suzanne ALLIOT: "Merci à tous deux de vous souvenir du 18 avril... 1907! 60 ans d'union avec un mari d'une intégrité parfaite, ce qui nous a permis de franchir ensemble les caps heureux et malheureux de note vie. Nous célébrons cet anniversaire dans la stricte intimité: nos enfants et petits enfants, Thérèse..." Il s'agit vraissemblablement de Thérèse Alliot. Suzanne Alliot est souffrante et Maurice et elle n'ont pu se rendre à cet anniversaire qui a lieu au domicile des Robillard à Paris, 12 rue des Batignolles (17e).

Le mariage de Suzanne et André Robillard

60 ans avant cette lettre, le mariage de Suzanne Mengus et André Robillard, le 18 avril 1907, à Rouen

..."Notre pensée (continue Suzanne) vous associera à cette réunion et ira aussi vers la pauvre Gabrielle qui a une fin de vie aussi lamentable..." Gabrielle est très souffrante alors. Elle termine ses jours à Attichy, entourée des siens. Elle disparaît le 1er juin suivant. Suzanne Robillard reprend alors la plume et, le 3 juin 1967, écrit à Maurice et à Suzanne: "Une très grande tristesse dans nos coeurs et de la joie pour ma petite Gaby qui nous a quittés à l'aube du 1er juin. Elle me disait souvent qu'elle sera la femme la plus heureuse quand elle s'envolera de notre terre pour retrouver là-haut ceux qu'elle a aimés..." plus loin, "il ne me reste plus rien me rappelant ma vie passée"... Malvina, sa mère, s'est éteinte en 1928 à l'âge de 73 ans. Et Jeanne la seconde, de santé fragile, les a quittés le 18 décembre 1936.

Quelques mois avant, le 10 juin 1936: Jeanne est malade, hospitalisée pour quelques temps. Le climat social est agité. Elle écrit à Maurice, lui parle de son propre état de santé, et poursuit:

Lettre de Jeanne, juin 1936

De son lit, Jeanne s'inquiète de la santé de Maurice, de la fatigue de Suzanne. Elle se fait aussi du souci pour Léo qui souffre d'une maladie de cœur. Elle redoute la "révolution... Que nous réserve demain?" et encourage Henri qui doit passer son bachot!

Revenons à l'année 1967, et à Suzanne Robillard qui continue ainsi la lettres du 3 juin, écrite 2 jours après la perte de sa sœur Gabrielle. Elle dit à Maurice et à Suzanne avoir de leurs nouvelles par Odette, "par elle je sais que vous êtes très bien installés (à Caen) et que Suzanne en ressent le bienfait. Entourée de ton affection, ses forces reviendront complètement, et elle retrouvera son dynamisme pour reprendre en main Bois-Réaux. J'ai revu avec plaisir l'autre jour chez Thérèse vos enfants et apprécie encore davantage le charmant Bernard "unique" par toutes ses qualités.
Ce froid de Paris est bien éprouvant pour les santés délicates
...
Nous nous réunissons tous deux pour vous embrasser tous deux bien affectueusement,
Suzanne.
"

Suzanne Robillard était loin de supposer que 16 jours seulement plus tard, c'est elle qui partirait.... le froid de Paris a-t-il eu raison d'elle? on est en juin, pourtant, le 19. André, son mari, reste. Il disparaît 9 ans plus tard, le 1" février 1976, à 93 ans.

avis décès Suzanne Robillard   avis décès André Robillard

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Du côté de Marie

Marie Verstraët, la cadette, habite avec ses parents à Saint Denis lorsque son destin croise celui d'un jeune ingénieur, sorti depuis quelques années de l'Ecole Centrale. En 1887, René ALLIOT et Marie se fiancent. La date du mariage est fixée au 21 octobre de la même année.

René et Marie, vers 1887

"J’en pleure de joie, car vous savez l’affection que j’ai pour vous et qui ne date pas d’hier" écrit à Marie Mme Pivois, une amie de la famille VERSTRAET "vous avez raison, on ne perd rien pour attendre et votre père savait ce qu’il voulait en ne pressant pas votre mariage".

Contrat de mariageMarie a 30 ans (elle est de quelques mois l'aînée de René) : peut-être a-t-elle eu d’autre prétendants ? Cette remarque souligne en tout cas le rôle du père et du mari, chefs de famille, comme on le verra plus loin dans les documents officiels du mariage et dans le sermon du curé !

Le 14 août 1887, de saint-Denis, Louis écrit à sa fille: Elle est en visite dans la famille d'Houplines. Le lendemain, c'est sa fête: la dernière que son père lui souhaite avant qu'elle ne soit Madame Alliot! Et puis il demande à sa fille d'user de toute sa conviction pour faire venir à la noces les tantes d'Houplines! Il parle aussi de Gabrielle (elle a 9 ans alors) qui devrait bien écrire comme promis à ses grand-parents! Pour lire cette lettre, cliquer ici.

Contrat de mariage est dressé chez Maître Leclerc, à Charenton-le-Pont (Seine) . Les extraits de ce contrat, qu'on peut consulter sur les pages consacrées à René et Marie ALLIOT, et dont on peut voir ici les extraits concernant la dot de la future épouse, (voir extrait p3, extrait p4, extrait p5) illustrent ce que peuvent être les « apports en dots » dans ce milieu d’industriels à la fin du 19e siècle. On remarque aussi que la mère de chacun des mariés est "autorisée" par son mari à consentir à la dot…!
Ce genre de détail juridique dans le cadre du contrat de mariage, mais plus encore la "parole" de l'Eglise au cours du sermon, lors de la messe de mariage de Marie et de René, sont tout à fait significatif du rôle imparti à la femme dans le couple en cette fin de 19ème! On mesure le chemin à parcourir pour l'émancipation de la femme, et l'égalité des sexes! A la mairie où est conclu le mariage civil, les témoins sont strictement masculins! Mais voyons ce qu'en pense M. le Curé, qui du haut de sa chair, s'adresse aux jeunes époux:

"L'avenir, pour vous, Mademoiselle, je le caractériserai d'un mot: Vous allez perdre votre nom. C'est un fait symbolique. Il exprime et préfigure le don complet et sans retour que vous faites de toute votre personne ; vous appartiendrez corps et âme, tête et cœur à votre mari, votre chef, et votre maître. Il vous faudra, sinon le rendre heureux – ce qu’il ne doit attendre que de Dieu seul, vouloir au moins son bonheur jusqu’à immoler au besoin le vôtre. De pernicieuses imaginations, mes Frères,  sont de notre temps fort en vogue. Une jeune fille s’imagine volontiers que son mariage sonnera pour elle une heure d’affranchissement. Elle se trompe du tout au tout. L'apôtre n'exige pas en vain que la femme soit soumise, la loi civile ne décrète pas en vain que la femme doit obéissance. De la tutelle de son père et de sa mère, la jeune fille qui se marie passe sous la tutelle, moins souvent faible, d'un mari. Elle se donne un nouveau père et une nouvelle mère et double par là ses devoirs de respect et de subordination. C’est à la fois le besoin, l’honneur et le bonheur de la femme d’être toujours subordonnée. L'Apôtre et la loi, d'autre part imposent au mari l'inéluctable obligation d'aimer plus que tout ici-bas sa femme, de lui garder fidélité, de la protéger coûte que coûte contre tout et tous, il doit être son exemple, son guide, sa ressource, et j’oserai dire sa providence. Que le mari déroge aux multiples devoirs de sa qualité de chef, ou que la femme élude les contraintes de son assujettissement, ou que l’un et l’autre s’entendent pour établir sur d’autres bases et régir par d’autres règles leur communauté, ils n’y trouveront, chacun de son côté, que douloureux mécompte. J’avoue que, des deux parts, la tâche, ainsi comprise, est rude. Mais j’affirme aussi, Monsieur, qu’elle n’a rien au dessus de votre force de volonté et j’atteste Mademoiselle que, Dieu aidant, elle restera encore en dessous des nobles abnégations et des courageuses vertus ……..etc".

Le ménage s’installe provisoirement chez les parents de Marie, 30 rue de la Briche à Saint Denis, où naît Maurice en 1889, juste avant de rejoindre Paris où René acquiert une petite usine rue Saint Ambroise. L'histoire de cette famille est traitée dans la partie "Ancêtres ALLIOT".

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L'histoire de la famille VERSTRAET, avant et après les mariages de Malvina, puis de Marie, est liée à l'itinéraire professionnel du père de famille, Louis. Aussi, bien que les chapitres suivants lui soient consacrés, on peut déjà ici en donner une idée. La difficulté est que, aussi passionnant que soit cet itinéraire, il n'est évoqué que dans de brèves annotations de la main de Maurice ALLIOT, son petit-fils: liste des relations de son grand-père, liste de lieux, ou évocations éparses de souvenirs de jeunesse auprès de ses grands parents VERSTRAET. Et encore ces notes sont-elles écrites par Maurice âgé, comme s'il était temps de se souvenir de cet aïeul au profil si singulier. Pourtant, ces quelques notes, documents ou photos, suffisent à imaginer (avec des compléments trouvés sur internet) une carrière étonnante, où Louis a côtoyé de véritables pionniers de l'industrie et des personnalités du monde scientifique, économique et politique de l'époque. Cet itinéraire n'est pas très facile à retracer dans un ordre chronologique, les notes, donc, étant succinctes.

Des archives concernant cet aïeul, avant la période où il se consacre au canal existe-t-elles? Ruiné et seul, il s'est donné la mort le 28 juillet 1910: ce suicide a certainement bouleversé les siens. Mais il a aussi eu pour conséquence l'opacité dont on a entouré les circonstances de sa mort, pendant des années. Sans doute a-t-on du même coup occulté tout ce qui avait fait l'homme, avant cette issue? Dans les cérémonies qui regroupent les générations dans les années qui suivent, on rend hommage aux chers parents disparus. Mais de Louis on ne parle pas.... Devait-il être oublié? Quand on sait la richesse des archives familiales concernant d'autres aïeux, n'aurait t-on de celui-ci que les documents les plus officiels concernant son rôle dans les débats sur l'opportunité du fameux canal?? Existe-t-il d'autres informations sur Louis et sa famille? (N'hésitez pas à donner votre opinion ou apporter des témoignages dans la rubrique "commentaire"!!)

Toujours est-il que cet itinéraire priofessionnel a conduit Louis, et certainement sa famille, des départements du Nord et du Pas de Calais vers la région parisienne, à travers différentes rencontres et expériences qui sont détaillées dans le chapitre consacré à Louis VERTRAET, l'industriel. En voici le résumé:

notes de Maurice

  • Usines KUHLMANN à LILLE: L'acide sulfurique qu'on y fabrique alors est utilisé en teinturerie, blanchiment et sucrerie.
  • BIACHE-SAINT-VAAST (Pas de Calais): Etablissement de métaux non ferreux.D'anciens moulins transformés en machine à laminer servent à fabriquer de la monnaie.
  • Tout en donnant cours et conférences en chimie, Louis Vertraet aurait été aussi "toucheur d'or", expert en analyse des lingots pour la compagnie des bijoutiers. Il devait être alors à Paris? On sait (voir ci-dessous) qu'il a eu plusieurs adresses à Paris et dans la région parisienne).
  • Maurice ALLIOT évoque la participation de Louis VERSTRAET à la fabrication, dans ses propres ateliers (où?), d’un four spécialement étudié par Michel PERRET pour brûler les fines de charbon.
  • Les relations professionnelles (et amicales) avec la famille MENIER sont aussi nombreuses que variées (voir chapitre suivant): Elles ont joué un grand rôle dans l'investissement de Louis dans l'industrie du coutchouc, mais aussi dans sa vision économique et sociale de l'essor industriel. Les notes de Maurice indiquent  que Louis a séjourné à Harbourg (Prusse), au sud de Hambourg, à la demande de son ami Emile Menier, afin d'y étudier les propriétés une nouvelle matière que les allemands ont commencé à exploiter: le caoutchouc. On sait que les Menier, à la suite de cela, s'associeront avec le fabricant de Harbourg, tout en ouvrant leur propre usine à Paris, 7, rue du Théâtre, dans le quartier de Grenelle. C'est en particulier Gaston, second fils d’Emile, qui sera responsable de l'usine parisienne de production de caoutchouc et de câbles et fils électriques. Ouvrons ici une petite parenthèse et "écoutons" Maurice parler ici de son grand-père:

"Il était d’un esprit très curieux, et il était très en rapport avec la famille Menier, les fabricants de chocolat. Un jour, Émile Menier lui dit : « Mais Verstraet, je vais vous envoyer en Allemagne, je vous paierai le séjour, je voudrais que vous étudiiez une matière que l’on appelle le caoutchouc. Il paraît que dans le sud de l’Amérique, des indigènes font des balles avec le latex qui vient de l’hévéa, ils jouent à la balle, les balles rebondissent, et il est vraisemblable que nous pourrons tirer un bon parti de cette nouvelle matière première, les Allemands ont d’ailleurs déjà commencé. » Effectivement, mon grand-père a dirigé une usine de caoutchouc, et on a fait là des tuyaux, des bandes, des bandes de roulements, toutes sortes d’objets, mais on n’a pas fait de pneumatiques parce qu’on n’avait pas lieu de se préoccuper de cela, l’automobile n’était pas née".

  • Louis VERSTRAET aurait également travaillé à Charenton, toujours dans la fabrication et le traitement du caoutchouc avant de créer sa propre usine à Montrouge. On sait seulement que celle-ci sera détruite par un incendie, contraignant toute la famille à quitter les lieux, qui étaient aussi d'habitation, en jettant par la fenêtre les choses les plus indispensables ou les plus précieuses... Au cours de cette période d’activité dans l’industrie du caoutchouc Louis VERSTRAET participe à la fabrication de la toile coutchoutée du dirigeable "La France" conçu par Charles RENARD et Arthur KREBS, inauguré en 1879 (voir chapitre suivant). Maurice raconte « Dans toute mon enfance, j’ai vu, dans la salle à manger de mon grand-père, une photographie assez grande du dirigeable « le France » dédicacée au nom de Louis VERSTRAET par KREBS et RENARD.»
  • A quelle étape de ces activités Louis s'est-il installé en Plaine Saint-Denis, au nord de Paris, pôle industriel largement consacré à la recherche où se côtoient chercheurs et étudiants. Et l'un des pôles de cette recherche est constitué par les laboratoires MENIER d'où sortent quelques découvertes de renommée mondiale.
  • La famille VERSTRAET s'est-elle installée à Saint-Denis après la destruction de l'usine de Montrouge. Est-ce à ce moment que Louis commença à consacrer son temps et ses moyens au Canal des Deux-Mers? Les documents conservés par la famille attestent que Louis montait des dossiers à ce sujet dès 1882.
  • Pendant 25 ans en tout cas, c'est à ce projet que Louis VERSTRAET va se donner à corps perdu...

En 1874, l'Association Française pour l'Avancement des Sciences (AFAS) dont il est membre l'a inscrit à l'adresse suivante: 60 rue des Carrières, CHARENTON-LE-PONT (Seine). Il est mentionné aussi sur certaines archives de l'AFAS (mais la date est illisible) comme domicilié 9 rue Friant, à Paris, 14ème (C'est proche à la fois de la rue du Théâtre, quartier Grenelle, et de Montrouge!). Enfin, les actes d'un congrès, publiés en 1890, dans les mois qui ont suivi la grande Exposition Universelle de Paris de 1889, mentionnent Louis VERSTRAET parmi ses participants: Il est domicilié  8 rue Renault, là où, quelques années plus tard, Maurice tout gamin allait à pied depuis le Boulevard Voltaire. C'est sa dernière adresse.

La lettre produite ici n'est pas datée. Elle est écrite par la jeune Gabrielle. On comprend que Louis, son grand-père, est alors au ban de la famille, fâché avec sa fille Malvina. Gabrielle écrit sa tristesse et son soutien à son grand-père, après sans doute une entrevue qui s'est avérée difficile entre Louis et Malvina??? (cliquer pour agrandir dans une nouvelle fenêtre:

Lettre de Gabrielle à son grand-père

Voici, pour une lecture plus aisée, le texte de cette lettre (M. Ricard, dont il est question, est maire de Rouen. Félix Mengus, père de Gabrielle, est son adjoint):

Cher Grand-père,
« Nous sommes arrivés à bon port hier soir, mais dans le train j’ai joliment pleuré, j’en ai le nez en marmelade et les yeux tout gonflés. Monsieur Ricard n’est pas content que tu ne sois pas bien avec maman. Il n’a pas voulu que Madame Ricard prenne rien au lunch (peu lisible). Cela m’ennuie joliment va, mon bon grand-père, écris moi souvent, souvent pour me consoler et quand tu auras quelque chose à me dire que tu ne voudras pas qu’on sache, écris à cette adresse: en très gros : Mlle Victorine Tervoort, et en plus fin : Chez M. Mengus, 6 rue Jeanne d’Arc, Rouen. Ce matin, nous sommes arrivés en retard au lycée. Cela fait que je suis en pension. J’espère recevoir des nouvelles de toi mercredi. Ne m’écris pas pour que je reçoive ça un jeudi, je suis à la maison. Donne moi des nouvelles de ma tante et de mon oncle, mais surtout de vous autres. Au revoir cher grand-père. Ecris moi très souvent. Je vous embrasse tous de tout cœur en essuyant une larme.
Ta petite fille qui ne t’oubliera jamais,
G. Mengus. »

 Lorsque Louis VERSTRAET choisit de disparaître le 30 juillet 1910, il a 77 ans. Il est veuf, Sophie est décédée le 13 février 1903 à leur domicile, 8 rue Renault à Paris, dans le 11ème arrondissement. Et en 1910, il est ruiné. Tout l’argent gagné au cours de sa vie professionnelle, grâce en particulier à son usine de caoutchouc, a été englouti dans le projet de canal des deux mers. D'incessants voyages et des études coûteuses ont absorbé pendant des années son temps et ses moyens. Ce projet lui tenait à cœur par-dessus tout : Il s’agissait de faire du canal du midi un canal navigable pour des navires importants, entre l’Atlantique et la Méditerranée. Sans relâche, Louis travaillait à montrer la faisabilité du projet, à en calculer les coûts, et à en démontrer l’utilité tant pour l’économie de toute une région que pour la défense de la France en cas de conflit. Après des années d'acharnement, sans que ses convictions aient jamais été ébranlées, Louis n’a pas voulu survivre à un nième et dernier refus devant l’Assemblée, conscient par ailleurs des graves difficultés que sa ruine avait entraînées pour lui-même et sa famille.

Bien des années plus tard, le projet de canal des Deux-Mers fait encore des adeptes, et la presse qui relance le dossier n'a pas oublié le rôle de Louis VERTRAET dans son élaboration, ni sa fin tragique: Les deux articles qui suivent argumentent l'un comme l'autre pour que l'on entreprenne enfin ce grand chantier! Le Petit Parisien, dans son édition du 23 avril 1933, et, en juin 1936, un article de journal (non identifié) signé Robert Boucard, pointent et dénoncent les pressions qui ont fait depuis tant d'années capoter ce projet. Tous deux insistent sur le rôle de Louis VERSTRAET, Robert Boucart allant même jusqu'à conclure: "Je demande que la statue de Louis Verstraët, le pionnier, se dresse _symbole du courage malheureux_ sur les bords de cette voie triomphale"! En 1958, Maurice, qui reçoit régulièrement des journeaux et bulletins d'associations d'ingénieurs ou d'anciens élèves de l'Ecole Centrale, signale d'un trait bleu les conférences prévues et radiodiffusées sur la Chaîne Nationale-France III sur le "Canal des Deux-Mers":

Conférences 1958

 

Article du Petit Parisien

Article de Robert Boucart, publié en 1936 (numérisé en 3 parties):

article de Robert Boucart, 1936, p.1

article de Robert Boucart, 1936, p.2

article de Robert Boucart, 1936, p.3

Merci à eux de leur hommage à notre ancêtre!

 Chapîtres :