Les premières années de Joseph, et les études
"Un jeune doué espiègle qui sait ce qu'il veut"
« Le 28 octobre 1829, les portes de l’église de Laître (canton de Vitrey, Haute-Saône) s’ouvraient devant un enfant né le jour même, pour lequel son frère aîné venait demander le baptême. Le parrain était Jean-Baptiste Theurel, élève en théologie. [….]
Ce petit Joseph, que ses frères et sœurs regardèrent toujours comme un benjamin, arrivait le huitième […] Son père, Jean-Baptiste Theurel, et sa mère, Marguerite Morot, honnêtes cultivateurs habitant le village de la Rochelle, trouvaient, dans un travail assidu et dans un ordre parfait, le moyen de subvenir à l'éducation de tous. Un commerce de bétail assez important, (...) faisait la principale occupation du père, tout en exigeant de fréquentes absences de sa part (...). La mère portait vraiment bien son nom de Marguerite: c’était une véritable perle cachée dans l'intérieur de la famille, versant partout les trésors de sensibilité qu'elle portait dans son cœur, conduisant tout son monde d'une main douce et ferme, et sachant aussi bien corriger sans émotion que récompenser sans faiblesse. Elle présidait à la prière en commun, chantait des cantiques à ses enfants, lisait à haute voix et commentait (…) en famille, les lettres écrites par ses deux fils aînés (…).
Pour mémoire, la famille outre les parents Jean-Baptiste et Marguerite qui viennent d'être évoqués, se compose ainsi (il y a une grande différence d'âge entre les aînés et les derniers).
Joseph fait des progrès rapides à l'école paroissiale, et fait sa communion avec deux ans d'avance. Quand il a 11 ans, en 1840, son frère Charles part suivre les cours du séminaire de Besançon: il emmène Joseph avec lui, afin de lui donner des cours de latin. Deux ans plus tard, le même Charles est ordonné prêtre et nommé aussitôt professeur au séminire de Luxeuil. Là aussi, Joseph le suit. Puis c'est Vesoul, où Joseph étudie la philosophie et les mathématiques. Jean Morey rapporte ici quelques anecdotes qui montrent que chez le jeune Joseph, sérieux et détermination vont de pair avec une bonne dose d'espièglerie. Il raconte par exemple par quels détours il obtint un jour (il en avait d'ailleurs fait l'objet d'un pari avec ses amis) la permission de rendre une visite à sa famille pendant le semestre, chose pratiquement impossible sauf raison majeure, tant était grande son envie de passer une journée avec ses parents et de célébrer avec les siens la fête des boudins, selon la vieille mode comtoise. Ou encore comment il faillit se mettre dans un mauvais pas en croyant devoir achever un cheval qu'il pensait à l'agonie au bord de la route, ce dont il fut heureusement empêché par ses camarades, la bête souffrant seulement de fortes diarrhées... "Bien nous en prit, car le cheval guérit de ses coliques, et si notre sensible ami l'eût saigné, il l’aurait bel et bien payé trois ou quatre cents francs".
Au séminaire parviennent les échos des événements qui secouent la capitale : Les 23, 24 et 25 février 1848, suite à une fusillade malheureuse et sur fond de crise sociale et économique, les parisiens se sont à nouveau soulevés, après les violentes émeutes de 1830, derrière les libéraux et les républicains. Se refusant à lancer l’assaut contre la population de Paris, Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils, le comte de Paris. Mais les libéraux imposent un gouvernement provisoire républicain devant l’assemblée nationale : C’est la fin de la Monarchie de Juillet et la création de la IIe République, le 25 février 1848.
"Si c'est une tâche délicate que celle de conduire des jeunes gens de vingt ans, il faut avouer que cette tâche devient difficile à remplir dans les temps de trouble et d'effervescence populaire. Les bruits du dehors arrivent toujours à franchir les obstacles qu'une exacte surveillance peut leur opposer, et le meilleur moyen de calmer les esprits des élèves est de leur apprendre des nouvelles qu'ils ne pourraient longtemps ignorer (...). On ne savait quel tour prendraient les événements. En évitant de heurter les idées nouvelles, on conserva la paix avec tout le monde".
Ni son caractère enjoué ni l'effervescence républicaine n'empêchent Joseph de savoir très vite ce qu'il veut : On lisait au réfectoire les Annales de la Propagation de la foi; il en parlait volontiers avec quelques amis, et ne cachait point ses préférences pour les lettres du P. de Smet, du P. Laverlochère et de Mgr Retord… (Mgr Retord est alors évêque du Tonkin occidental : Joseph le rejoindra plus tard).
Au mois de novembre 1848, il se présente au grand séminaire de Besançon. Quelques mois plus tard, il écrit à ses parents pour leur annoncer qu'il va prendre la soutane, ce dont ils seront bien sûr très heureux, mais, précise-t-il, il choisit ainsi "une vie de renoncements et de sacrifices" ... et la misère est déjà là qu'il faut partager ! "On n’achète pas les soutanes pour des queues de poires. Vous voyez ce que cela signifie : C’est qu’il me faut de l’argent pour me procurer le costume ecclésiastique"! Voir lettre du 25 janvier 1849.
Il prit l’habit ecclésiastique le 25 mars 1849 […] Son frère aîné (Jean-Baptiste) était chanoine de Reims, son frère Charles venait d’être nommé curé de Theuley, sa sœur aînée (Anne-Marie, Soeur Onésime en religion) était une des plus dignes religieuses de la Congrégation de la Mère de Dieu, sa plus jeune sœur, Marie-Thérèse, semblait devoir entrer dans la même voie. Des deux autres frères, l’un avait embrassé la carrière des armes (Claude), l’autre se destinait à l’enseignement (Pierre), les deux autres sœurs venaient de se marier (Elisabeth avec François Berney, et Séraphine avec Alexandre Limasset).
La résolution de rejoindre le séminaire des missions étrangères intervient très tôt, résolution partagée par quelques élèves plus avancés que lui. Bientôt on ne les vît plus se promener ensemble sans dire : « Voilà la bande des missionnaires », ou, plus simplement : "Voilà les Indiens qui passent !" […] L’abbé Theurel était le plus jeune et le plus joyeux membre de cette compagnie. Il suggérait les raisons les plus étonnantes et les moyens les plus originaux pour répondre aux objections et vaincre la résistance probable de ses parents.
Dans ses lettres d'alors, et par exemple dans celle qu'il écrit le 16 juillet 1849 (ouvrir la fenêtre et agrandir), Joseph use avec beaucoup de véhémence de tous les arguments puisés dans sa vision religieuse du salut des âmes...(cette vision est celle de l'époque, elle peut surprendre aujourd'hui).
L’abbé Contant qui devait partir en même temps que notre Theurel ne parvient pas, lui, à obtenir l’assentiment de sa famille : Le père de l'abbé Contant ne voulut jamais entendre raison. Cultivateur aisé et laborieux, il se figurait que son fils devait être curé à quelques kilomètres du village natal, afin que lui-même, Jean Contant, pût aller de temps à autre dîner avec le titulaire, et jouir de sa compagnie. Les âmes des sauvages le touchaient peu, et il ne voyait pas pourquoi son fils s'en occuperait plutôt qu'un autre. Pour obéir à sa vocation, M. Contant dut quitter furtivement la maison paternelle; le cœur faillit lui manquer quand il traversa la chambre où dormaient ses parents, mais il sortit sans jeter un regard en arrière, et quand on soupçonna son départ, il était déjà loin, se rendant vers son ami Theurel qui l'attendait.
On devait se trouver à Paris pour le 1er octobre, et le rendez-vous était donné à la Rochelle (Haute-Saône), le 26 septembre. Les courtes vacances de l'abbé Theurel avaient été attristées par les douleurs d'une prochaine séparation. Après avoir résisté et fait valoir tous les arguments ordinaires en pareil cas, la famille s'était résignée. Les parents avaient dit au jeune homme: "Nous voyons bien que c'est votre vocation, puisque vous nous le donniez déjà à entendre dès l’âge de dix ans. Nous sommes bien attristés de votre départ, mais nous nous soumettrons à la volonté de Dieu!" - "Vous êtes bienheureux d'entendre ces paroles, lui dit l'abbé Contant, tandis que moi, je suis réduit à demander pardon de ma fuite à des parents qui n'ont rien voulu comprendre."
Les futurs missionnaires se rendirent sur la route de Paris à Bâle, pour attendre la diligence de Langres. "Quand j'entendis crier l'essieu de la voiture qui arrivait à Cintrey, écrivait plus tard M.Theurel à un ami, je sentis un frisson courir dans mes veines. Ma pauvre mère me jeta un regard que je n'oublierai jamais. Il me semble que j'avais bien du courage, mais elle en avait encore plus que moi!" (On imagine les deux camarades attendant au bord de cette rue la diligence pour Paris, à la fois tristes et fiers!). "Jusqu'à Langres nous avons été un peu tristes, mais depuis là nous n'avons plus songé qu'à notre vocation et à la vie nouvelle que nous allions mener." Le 30 septembre, ils étaient à Paris.
Lettres de Joseph, écrites avant de se rendre à Paris
Passer à la période suivante: Les Missions Etrangères de Paris