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BEAUMONTs/OISE

À BEAUMONT-SUR-OISE
au lendemain de la guerre

Dr & Mme BOUDIN
Papa et Maman

Je ne sais où ni quand ni par qui cette photo a été prise et peu importe. Le premier mot qui me vient, c'est "la classe !", et le second c'est "connivence"...
C'est notre maman femme, un dimanche à la fin d'un bon repas quand on sort le cigare pour les hommes et la cigarette pour les dames, "Craven A" pour maman, après le café et les digestifs. Ces instants s'apprécient à leur valeur après tant de difficultés et de privations.
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Début août 1944

Les paragraphes suivants sont extraits du texte que maman a rédigé quelque temps après le décès de papa, et intitulé "Pierre, Papy" (ci-dessous la photo de couverture)

"Nous sommes arrivés, 8 jours après notre mariage, avec nos affaires dans nos sacs à dos. Les voies de chemin de fer avaient été coupées avant Persan.. Pierre a récupéré nos vélos dans le fourgon à bagages, sinon ils seraient repartis jusqu'à Paris"!

L'époque est loin d'être calme, la guerre vit ses derniers sursauts de violence "Quand il y avait des bombardements, nous nous couchions au milieu du jardin pour ne pas recevoir la maison sur la tête. Une fois, Pierre faisant une visite aux environs, j'ai tout de même été à la cave, il est revenu voir si le quartier n'avait pas été touché. La maison attenante à la nôtre avait été détruite bien avant notre arrivée."

Difficile d'imaginer aujourd'hui à quel point, libération ou pas, la vie quotidienne est compliquée !

"Il faut aller chercher l'eau à une fontaine, à 50 ou 100m de chez nous, faire la queue munis des tickets d'alimentation, et il n'y avait pas grand chose pour alimenter un petit poële minable à la cuisine. L'hiver est arrivé. Très peu de chauffage, un "Godin" dans le bureau de Pierre où nous déjeunions avant la consultation, un petit poële à alcool dans la salle d'attente, un "..?." (non lisible) dans la chambre, un poële à sciure dans la pièce voisine. Pierre devait aller chercher la sciure au garage tous les jours.
Il faisait ses visites à bicyclette, jusqu'à ce que les américains lui procurent un peu d'essence, lui permettant de récupérer sa traction citroën chez sa mère. Il a continué à utiliser beaucoup le bicyclette pour économiser l'essence - et le pont sur l'Oise, provisoire, ne devait pas être praticable pour les autos.
Les américains ont aussi fourni la première pénicilline, pour un nourrisson né à peu près à la même date que Jean-François, mais elle n'était pas "retard"
(?), il fallait y aller toutes les 3h en vélo.
Nous étions dans nos meubles depuis juin 1945 : l'horloge, un buffet, une table de bridge, mon lit qui servait de meuble de rangement
[lit qu'on a connu place Foch, au 1er où Jean-François puis Chantal l'ont utilisé, puis au 4e pour maman avant d'aller chez Philippe recueillir les rêves de jeune fille d'Amélie]. C'était un lit d'une personne, flanqué de rangements des deux côtés et surmonté d'une bibliothèque), et un lit acheté d'occasion, quelques sièges, le bureau de Pierre, sa bibliothèque et tout ce qui venait de Chantilly lui appartenant.
Je préparais les rideaux, puis la layette et le berceau pour notre bébé qui était attendu pour fin septembre. Il y avait toujours les tickets d'alimentation (.....) ....

Maman est l'épouse du docteur, et, d'un certain point de vue, c'est aussi une difficulté pour elle d'avoir le cabinet de consultation à l'intérieur de l'habitation :
" J'ai eu un peu de mal, après une vie d'infirmière active, à me contenter de répondre au téléphone aux clients ou de leur ouvrir la porte quand je n'avais pas d'employée. Ils me disaient parfois Bonjour Mademoiselle ! "  et puis, quand on sait le rythme de ses journées, tant à la fin de ses études qu'au cours de la guerre, on imagine que l'inactivité doit un peu lui peser...

"Peu à peu notre situation s'améliore, le chauffage central est rétabli, au coke, puis au charbon;. C'est Pierre qui s'en occupe. La chaudière est dans la cuisine, il faut monter le charbon de la cave.
Nous allons souvent voir sa mère [ci-contre] à bicyclette, puis en voiture. Pierre va la chercher pour les dimanches ou de petits séjours. Vient le jour où elle ne peut plus rester seule dans sa maison. Elle est chez nous, j'attends le bébé, les Poulet trouvent une maison de retraite en face de chez eux, elle y sera bien soignée par des religieuses. Nous lui achetons une TSF. Peu en ont à la maison à l'époque. Nous gardons le chien Micky qu'elle retrouve quand elle vient.

Nous avons été heureux à Beaumont.

Les enfants sont arrivés : Jean-François, Philippe, Marie-Jeanne. Pour ces 3 naissances, Pierre fait appel au dr Monceau. Il met Michel au monde avec l'aide de la garde, Mme Leblond, puis Chantal, seul, une nuit. Après l'avoir habillée et mise dans son berceau, il s'est recouché près de moi. Joyeux moments avec ces enfants, son "panier de petits chats".
Nous avions de bons amis, les Merceron, Dégremont, Masengui (directeur de l'hôpital), Delcroix; les De Batz, à Creil. Les cousins de Pierre, les Bulteau, la cousine Victoria, nièce de "l'Oncle Curé".
Nous allions de temps en temps à Brunoy, ou à Paris. Pierre n'avait pas de consultations le mercredi, pour nous permettre, quand il n'y avait pas d'urgence, d'y aller tous les deux.

Dans ses lettres à Françoise, qui vient d'être hospitalisée au sanatorium de Buzenval (Rueil-Malmaison), pour distraire sa jeune sœur, maman lui écrit souvent et parle de tous les petits riens de la vie quotidienne, comme pour suivre une conversation (il est probable que quelques lettres n'aient pas été récupérées après le décès de Françoise, dont aucune des lettres n'ont été conservées)
Pour résumer l'essentiel des extraits suivants,
bien sûr maman s'inquiète de savoir comment sa soeur se fait à son nouvel environnement, d'abord à Buzenval, puis dans un autre hôpital à Paris. D'elle-même elle raconte la difficulté à se motiver pour faire de l'ordre quand on n'est pas encore tout à fait dans ses meubles, à chauffer une maison avec les moyens du bord et la pénurie de tout, les occupations du quotidien, où l'on remarque que le raccommodage des chaussettes et des bas tient une certaine place, que les journées sont parfois longues une fois la belle saison passée, pendant laquelle maman accompagnait papa au cours de ses visites et l'attendait au dehors. Pas grand monde encore pour faire le déplacement jusqu'à Beaumont, mais quand il s'agit de faire une virée à Paris pour un baptême ou un autre, alors on en profite au maximum ! D'ailleurs à propos de baptême, on sens au cours de ces premiers mois le fort désir d'avoir un enfant (elle parle beaucoup de ceux des autres, et, le 16 janvier elle écrit à Françoise : "Espérons que ce sera bientôt notre tour de faire baptiser notre bébé. Toi qui a beaucoup de temps pour bavarder avec le Bon Dieu, demande le lui ! " C'est en avril que le bébé futur entre dans la conversation. Il doit manquer d'ailleurs la lettre où maman annonce à sa soeur l'événement si attendu. Les occupations alors se bousculent. Les meubles.de Mme Dubois et les rideaux vont enfin partir en juin : il faut en plus du trousseau du bébé à venir coudre des rideaux, trouver une vraie salle à manger, avoir une employée de maison de confiance et qui reste (on dit "bonne" à cette époque et cela n'a rien de désobligeant insistera toujours maman, des années plus tard!). L'été venu, Bernard séjourne à Beaumont en juillet, et s'avère aussi efficace qu'il est vif ! puis c'est Lucienne qui vient aider sa soeur en août. Françoise change d'établissement : on pourra aller plus facilement, à la fin novembre, lui présenter à travers une vitre le joli bébé, Jean-François, né le 26 septembre (des lettres manquent, entre début septembre et le 24 novembre). La vie se fait plus organisée (Madame Leblond a fait sa première apparition pour assister maman après l'accouchement) et le relatif isolement dont elle souffrait peut-être un peu est souvent rompu par les visites des uns et des autres. Fin novembre, Françoise reçoit les premières photos de Jean-François qui a déjà 2 mois. Les lettres de maman sont pleines des sourires et des gazouillis du bébé. Le lendemain de Noël, Françoise revoit son neveu une deuxième fois, avec toutes les précautions indispensables. Maman la trouve plutôt reposée - c'est du moins ce qu'elle lui dit dans sa lettre). Françoise s'éteint pourtant quelques jours après, le 5 janvier 1946.

LETTRES À FRANÇOISE : extraits

mardi 5- 11-1944
Ma chère petite Françoise,
Nous attendons avec impatience de tes nouvelles. Il faudra peu à peu nous raconter ta nouvelle vie, nous dire comment tu es installée, ce que tu fais, et ce que l'on te fait pour te soigner, si les personnes qui t'entourent sont sympathiques, etc.
Nous avons su par papa au téléphone que le voyage ne s'était pas mal passé. Le temps a du vous paraître long en attendant ce fameux taxi; heureusement que papa a pu monter avec vous..... Pierre est parti faire ses visites et n'est rentré qu'à 2h moins le quart pour déjeuner. Mais il faut nous habituer à une certaine fantaisie dans les heures de repas ! Demain nous allons au baptême de Philippe [Guillaume]. Pierre est très intimidé de se trouver au milieu de toute cette famille qu'il ne connaît pas encore!  (.......)
Moi je fais de la gymnastique, courant d'un feu à l'autre, me mettant à 4 pattes pour souffler dessus. Ce matin celui du bureau ne voulait pas prendre et celui de la cuisine allait trop fort. Si je restais à souffler sur celui du bureau mon déjeuner brûlait, si je surveillais mon déjeuner celui du bureau s'éteignait... Je suis ennuyée car la plaque du dessus de mon fourneau s'est fendue. Nous avons entendu un grand bruit et une flamme est sortie. Ma femme de ménage a poussé un cri presque comme le jour où Pierre lui a apporté une souris en la tenant par la queue.... (....)

le 28-11-44: ....Tout d'abord veux-tu bien te charger de dire à maman que je viens de recevoir sa lettre recommandée avec les bons qu'elle contenait? Nous savons que tu est remise à un régime de repos bien sévère, mais nous te savons aussi très courageuse et décidée à guérir (.....) Moi aussi je trouve quelquefois le temps long quand Pierre est pris dehors et que je suis de grandes journées toute seule, aussi faut-il que nous nous écrivions souvent pour nous tenir compagnie (.....)
Notre petit chat est décidément perdu, c'est dommage, il était bien mignon et prenait part à la conversation en scandant chaque phrase que nous disions par un gentil miaou. J'aurais du l'enfermer pendant le déménagement. Je suis toujours au milieu du désordre. Je range mes affaires peu à peu.... il va falloir recommencer quand Mme Dubois enlèvera ses armoires (...). Ce matin j'ai expérimenté mon aspirateur : il marche bien et je suis joliment contente (...) Il va falloir aussi essayer la machine à coudre car je vais avoir des rideaux à faire. ... Je ne peux plus beaucoup accompagner Pierre dans ses tournées car j'ai trop froid en l'attendant à la porte des clients et je ne peux entrer avec lui. Vois-tu par exemple Mme Savary faisant les visites avec son mari !! (...)

30 décembre 44 ( ...... ) demain nous allons rester à Beaumont et nous reposer un peu car nous avons passé la nuit dehors auprès d'une malade. Lundi nous irons à Chantilly voir Mme Boudin. Comme elle n'a pas grand chose pour faire à déjeuner nous avons tué notre poule. Ma femme de ménage était toute triste d'exécuter cette pauvre bête. Il ne restera plus de notre ménagerie qu'un malheureux lapin qui est destiné à suivre le sort de la poule (.....) Avec toutes ces fêtes, j'ai un retard de couture énorme et un paquet de bas et de chaussettes à scandaliser tante Thérèse (...) nous t'envoyons des voeux, cette année surtout, de guérison....tu es décidée à te soigner très courageusement et le résultat s'en fait déjà sentir puisque tu as grossi. Pierre te remercie des timbres (....)
16 janvier 45 : (....) Nous n'avons pas chaud et Pierre vient d'avoir une grosse angine... resté couché samedi et dimanche; Hier il s'est levé pour déjeuner et faire sa consultation, aujourd'hui seulement il est ressorti un peu, avec une gorge bien laide (...). Nous devions aller au théâtre samedi prochain, la 1e fois depuis que nous sommes mariés, mais je crois que les théâtres vont fermer faute d'électricité, et de plus ce serait fatiguant pour Pierre. Nous irons à Paris seulement dimanche 25 pour le baptême de la petite fille de Xavier Poulet, Anne-Marie, dont je dois être marraine. Espérons que ce sera bientôt notre tour de faire baptiser notre bébé. Toi qui a beaucoup de temps pour bavarder avec le Bon Dieu, demande le lui ! (...)
29 janvier 45 (....) par ce froid rigoureux nous nous demandons si tu dois toujours dormir la fenêtre ouverte ? nous qui nous couchions bravement jusqu'à hier dans une chambre glaciale, où la glace épaississait de plus en plus sur les carreaux, nous avons subitement pris la décision de placer un lit dans la petite pièce où je fais du feu dans la soirée. Ainsi nous pouvons lire dans notre lit ... et le matin je peux m'asseoir dans le lit sans attendre de me lever avec les couvertures sur le nez (...). Nous avons toujours une grosse épaisseur de neige... (...)
Hier nous avons été à une réunion de femmes de prisonniers où Pierre a fait une petite conférence...pendant ce temps j'ai du occuper une trentaine d'enfants pendant 4 heures de suite. Je leur ai lu 2 "Histoires comme ça" de Kipling, puis ceux qui savaient des chansons et des récitations se sont produits...je leur ai alors appris à applaudir en faisant un ban. Je leur ai chanté "il y a un trou dans mon seau" : les garçons reprenaient "chère Élise", et les filles "cher Eugène...Ils ont eu un bon goûter...après ils n'étaient plus sages du tout et il ne s'agissait plus que de les empêcher de faire des bêtises. En rentrant j'étais abrutie et fatiguée. Je plains les maîtresses d'école.... Je vais te laisser et retourner à mes interminables raccommodages des chaussettes de Pierre et de mes bas, en attendant ceux de notre douzaine d'enfants. (...)

13 février 45 (comme toujours maman s'enquiert de la santé et des occupations de sa sœur) je n'ai pas fait de lessive tout le temps qu'il faisait si froid, car dans la véranda je craignais de retrouver ma femme de ménage changée en statue de glace. Je vois de jeunes amies qui ont toutes de jeunes bébés.... quant à Pierre il a pas mal de malades ...aussi y a-t-il 6 semaines que nous n'avons pas bougé de Beaumont, sauf pour de rapides visites à Chantilly. Nous espérons pouvoir aller à Brunoy au mois de mars. Pierre a eu des difficultés aux moments où il y avait de la neige. Maintenant c'est autre chose : l'Oise a tellement débordé que le moteur aurait été noyé au pont qui relie Persan à Beaumont. Il est obligé d'aller à bicyclette sur une étroite passerelle où il s'agit de marcher droit pour ne pas tomber dans l'eau (...) Voilà mon époux qui rentre: il est 7h et il a 2 personnes qui l'attendent pour des piqures intraveineuses.( ... ) Encore une chose.. Cet après-midi j'ai vu traire une vache, juste sous mes fenêtres, en pleine rue (...)
8 mars 45 (...) notre grande journée passée à Paris le dimanche 25 février. Partis en auto (après quelques péripéties pour trouver une messe à 7h30) nous avons commencé notre voyage à étapes. 1e à Presle à 4 km d'ici où le patissier fait de bons gâteaux genre éclairs, nous en avons pris pour nous et pour Henri. 2e arrêt à L'Isle Adam où nous voulions voir une salle à manger à vendre...une horreur. Enfin arrivés vers 9h30 chez Henri et Jacqueline nous avons pu parler toute la matinée. Ils nous ont donné des nouvelles de Brunoy. Vers midi nous avons quitté le Bd Sébastopol pour aller au baptême d'Anne-Marie Poulet-Goffard, ma filleule.... cérémonie, déjeuner ...  goûter.
Nous avons ensuite été au restaurant et ..au théâtre.... bonne soirée avec un ami de Pierre. Nous sommes rentrés à 1h du matin...contents (...)
10 avril 45 (...) Notre maison se chauffe petit à petit et notre jardin ... devient délicieux. Nous y avons planté des pois de senteur et...du persil, mis des oignons de glaïeuls. Un peu plus tard nous planterons d'autres fleurs encore. Des framboisiers ont été repiqués à côté des groseillers. Pour cacher le poulailler nous avons mis des topinambours, comme il en montait l'année dernière, mais Pierre n'aime pas cela et je ne me sens pas le courage de les absorber seule ! Nous aurons du lilas et en prendrons même dans le jardin voisin qui est abandonné.
Ma belle-mère est toujours ici. Elle se remet bien mais nous cherchons une bonne pour ne pas la remettre seule chez elle. La nièce de Pierre (Claire Rabache) est restée ici 15 jours aussi. Elle est très gaie et très gentille, mais cela me fait un très drôle d'effet de m'entendre appeler Tante par une grande fille de 17 ans!! Dernièrement une jeune femme de mes amies a eu un bébé. La garde n'étant pas arrivée tout de suite, j'ai eu la joie de pouponner un peu et d'habiller plusieurs fois le jeune Yves. C'est une répétition ! Autour de nous les enfants ne manquent pas.
De Neuvy je n'ai aucune nouvelle : Lucienne et Bernard sont bien paresseux ! Papa qui nous avait laissé espérer sa visite ...n'est toujours pas venu, Henri et Jacqueline se font attendre aussi..Nous ne sommes pourtant pas au bout du monde ! Demain l'après-midi nous irons à Paris faire quelques courses. Nous avons bien du mal à trouver les meubles qui nous sont nécessaires, et cependant nous avons décidé de rendre les siens à Mme Dubois le 1er juin et de nous débrouiller avec ce que nous avons. Pour le moment comme salle à manger nous avons une horloge et un buffet, pas de chaises ni de table ! Nous ne pourrions que constater qu'il est l'heure de déjeuner mais que la table n'est pas mise !

12 avril 45 Chère Françoise - Nous avons bien reçu ta lettre hier et Pierre a pu voir d'après la vue comment tu es installée. Je te situe moins bien puisque tu as changé de chambre (....) J'ai toujours un peu l'espoir que Pierre pourra me conduire un jour pour te voir. Tu est gentille de me faire des enveloppes [pour les serviettes de table], je n'aurais jamais eu le temps. Quand tu seras à court d'ouvrage, tu pourras toujours t'adresser à moi. Je vais avoir tant de choses à préparer pour le bébé, mais pour le moment il va falloir que je me mette à faire des rideaux car je rends ceux de Mme Dubois au mois de juin (...) Pierre te remercie pour les timbres. C'est toujours sa grande distraction de les collectionner (...)
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27 juillet 45: Nous avons appris que tu avais changé de domicile, sans regrets je crois. Te voilà mieux entourée et beaucoup plus près des personnes qui veulent venir te voir. J'espère que je pourrai aller voir comment tu es installée avant d'être trop fatiguée. Tu dois apprécier les soins beaucoup plus dévoués des soeurs après cette directrice qui semblait peu obligeante (...)..Ma bonne, arrivée depuis à peine 15 jours semble pas mal. Malheureusement elle a déjà piqué deux fois 39° le soir..Pierre ne lui trouve rien et pense qu'il ne s'agit que d'une adaptation au changement d'air et de vie : chez elle elle était toujours dehors avec ses parents cultivateurs, et très près de la mer. Bernard me rend bien des services...tous les jours à la ferme chercher le lait, chez le boulanger, au goûter des mères chercher mon goûter, passe le reste du temps avec Pierre quand il peut l'accompagner dans ses tournées, ou à jouer avec le chien de ma belle-mère (...) fait pas mal d'anglais avec Pierre ...ce n'est pas ce qui l'enchante le plus dans le programme ! Quant à moi, j'ai bien du mal à coudre assez pour terminer mes rideaux et avancer la layette. J'ai coupé les couches et ma belle-mère fait les ourlets. Hier j'ai lavé 2 petites brassières et un paletot de laine (...) je voudrais bien que tout cela soit prêt fin août pour n'avoir plus après que quelques détails à terminer. Hier, Bernard m'a ramené la voiture d'enfant achetée à 4 km d'ici. Pierre l'a emmené en auto et il est revenu en poussant la voiture. Je vais faire un matelas en fougères. Dimanche, avec Paulette, nous avons fait une première récolte. Après l'avoir effeuillée, nous l'avons mise à sécher sous la véranda (...)
26 août 45 Merci de ta lettre, mais nous aimerions savoir que ta fièvre baisse complètement. Nous sommes contents de connaître maintenant ta nouvelle installation pour pouvoir te suivre par la pensée. Je ne pense pas que nous retournions à Paris avant la naissance de "Jean-François" ou "Geneviève" (à moins que cela change encore!). Je pense qu'Henri a donné des photos du baptême de Catherine (photo ci-dessous) à faire faire pour toi. Jacques Mery nous a fourni des films pour en prendre de notre bébé quand il sera là. Les préparatifs avancent (...) la semaine prochaine je vais m'occuper du berceau, puis entreprendre des bavoirs. Une dame ici m'a donné un fond de pot de ripolin. Je vais donc pouvoir repeindre le berceau avant de le garnir. J'ai déjà 3 brassières de laine, 2 de flanelle et 4 de toile.... Le séjour de Lucienne tire déjà à sa fin. Il aura été rapide, mais maman la réclame pour aller à Neuvy. Quant à Bernard, il est resté un bon moment et laisse un vide, car il fait du bruit, s'intéresse à tout et, il faut le reconnaître, aide beaucoup (...) Jeannine Monet doit venir une quinzaine de jours, elle arrive mardi soir. À la fin de ces vacances, elle va commencer ses études d'infirmière, sur les traces de sa marraine. J'espère ensuite avoir la visite assez prolongée de maman (...) La TSF marche-t-elle toujours bien? Cela doit te distraire quand tu n'as pas envie de lire. Ici nous en profitons un peu, surtout le soir. En dehors de cela, dans la salle à manger, nous n'entendons que le calme tic-tac de notre horloge (...)

8 septembre 45 (..) J'aurais voulu técrire....c'est que je n'étais pas fort en avance pour les préparatifs de naissance et je crains toujours que le bébé n'arrive avant que tout soit prêt. Heureusement Jeannine est ici qui m'aide beaucoup. Ce matiin nous avons monté le berceau mais il reste à recouvrir le petit édredon et à laver et arranger la garniture de dentelle qui doit entourer la piquet. J'ai fait faire une corbeille pour la layette et l'ai recouverte de tissu trouvé à grand peine et...à quel prix. Là-dedans se trouve déjà prêt le trousseau qui revêtira bébé aussitôt sa naissance. Je pense que maman viendra bientôt faire un séjour à Beaumont et qu'elle pourra continuer le repos commencé à Neuvy. Pourvu que ma bonne, de santé fragile, tienne le coup ! Es-tu toujours contente de ton installation à Sainte-Marie. L'école qui te fait face est-elle animée? Ici, je suis en face de l'école maternelle, il y a garderie de vacances (...)

[des lettres doivent manquer, car nous ne retrouvons maman que le 24 novembre 45, alors que Jean-François a déjà près de 2 mois]
maman a noté dans ses carnets, le 19 novembre, que Françoise a reçu l'extrême onction. Une lettre de son père, écrite 16 novembre, les avait prévenus... sans doute cette information les a-t-elle incités à aller dès le dimanche suivant lui rendre visite.

24 novembre 45 Ma chère Françoise, tu ne saurais croire combien nous avons été contents de profiter du beau temps dimanche dernier pour aller jusqu'à Paris. Il y a si longtemps que nous ne t'avions vue. Cela nous a fait plaisir de voir, par la même occasion, maman et Lucienne. L'hiver nous sommes un peu isolés ici. Mais cet isolement est coupé de visites agréables... demain nous aurons ton parrain ...nous allons essayer d'avoir les éclairs au chocolat que tu connais - c'est dommage que nous ne puissions t'en envoyer, mais je craindrais qu'ils n'arrivent tout à fait écrasés. Le dimanche 9, Simone viendra en week-end. Jacqueline Monet aussi m'avais fait espérer une prochaine visite. Nous n'avons pas encore fini un rouleau du bébé chéri. Le soleil nous a abandonnés au mauvais moment, j'espère qu'il reviendra sans tarder. Jean-François aura 2 mois lundi. Il commence à gazouiller dans son berceau. Il fait plus volontiers des sourires aux dames qu'aux messieurs, au grand désespoir de Pierre qui a, je crois, une trop grosse voix ! (...)
30 novembre 45 Cher Françoise, voici quelques photos de Jean-François prises il y a 3 jours. Tu pourras ainsi te rendre compte des progrès de ton neveu. Il est installé sur le ventre, dans son berceau, calé sur un oreiller et converse avec sa maman. Les 3 autres sont prises dans notre jardin. Il est plus sérieux car il fait froid et nous n'avons pu attendre un sourire. Nous devons voir Robert Brunet dimanche : il apporte à Pierre sa motocyclette qu'il vient de lui revendre. Lundi tante Yvonne doit venir déjeuner, et dimanche en huit, Simone nous fait l'honneur de sa visite. (...)
un dimanche de décembre Ma chère petite Françoise. Je profite de cet après midi de dimanche pour bavarder un peu avec toi. Maman nous a dit que tu étais ennuyée par un mal de gorge qui t'empêche de manger, c'est pourquoi j'ai pensé que peut-être des pamplemousses te feraient plaisir. Nous prions bien pour que le bon Dieu t'aide à supporter cette nouvelle épreuve. maman ne m'as pas dit si tu avais bien reçu les photos de Jean-François. Je le pense. Il s'éveille énormément ces jours-ci, se met non seulement à sourire quand on lui parle, mais à rire et à gazouiller, à jouer avec ses mains, et aussi à tirer sur la garniture de son berceau ... il s'est réveillé cet après midi avec la main qui passait dans un grand trou. Nous espérons que Bernard est bien arrivé à Villard et qu'il va avoir beau temps (...)
30 décembre 45 Chère Françoise, il est l'heure de prendre Jean-François, mais comme il dort je vais vite te mettre un petit mot pour te dire nos voeux très affectueux ... espérant que tu es moins ennuyée par ta gorge. J'espère toucher bientôt des oranges [rationnement oblige] et t'en envoyer. Nous avons été contents de te voir mercredi et de te trouver en train de lire, ce qui marquait que tu n'étais pas trop fatiguée. Lucienne nous a laissés hier, nous attendons maintenant Jeannine pour 2 ou 3 jours : la maison ne désemplit pas ! Jean-François est de plus en plus remuant et, après avoir déchiré son entourage de berceau, il s'attaque maintenant au rideau. Que deviendrons-nous quand il commencera à marcher !
Pierre me charge de t'embrasser ce que je fais de sa part et de la mienne, bien affectueusement,
Anne-Marie

Cette lettre était la dernière, Françoise s'est éteinte le samedi suivant, le 5 janvier 1946.

 

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À Beaumont, le "panier de petits chats" va commencer à se remplir

 

 

Extrait de "Pierre, Papy"

Nous avons pris nos premières vacances, 15 jours, à Saint-Jean-le-Thomas, en 1949 et 50. C'est ainsi que nous avons été séduits par Ker-Mick-Hett à Carolles, achetée en 1950. Il y avait des travaux à faire. Nous l'avons louée plusieurs fois. Après le décès de mon grand-Père à Neuvy [1951], mes parents ont reçu enfants et petits enfants à Bois-Réaux l'été. Pierre nous amenait en voiture et revenait le week-end, s'il pouvait. Par le train - la Micheline - c'était une fête d'aller le chercher à la gare ! (...)

Revenons à Beaumont. Le 2 février 2000 Jacques Monimart m'écrit [suite au décès de papa] "Pierre et vous, bien sûr, c'est Beaumont. Cette maison pleine de gaîté dont vous m'ouvriez la porte lors de week-ends qui étaient de chaleureux entractes dans mon austère vie de khâgneux. Beaumont c'était le train électrique mythique où nous nous attardions plus que de raison, vous faisant attendre pour le repas. Sur ce point je n'ai pas trop de remords, car j'invitais souvent Pierre à obéir à vos appels, mais une ultime manoeuvre s'imposait toujours avant de descendre à la salle à manger..... et comme inéluctablement, elle se compliquait de déraillements impromptus, Pierre invoquait alors le marquis de "Coupestvache". Cette astuce me plaisait beaucoup. Beaumont c'est aussi cet accident de passage à niveau un dimanche soir, sur la route de Beauvais. Pierre m'y avait emmené pour ne pas être trop seul, s'attendant bien-sûr, en bon médecin de la SNCF, à ce qu'il allait trouver. Au retour, il me fit partager avec lui un comprimé de somnifère, c'est jusqu'à présent le seul de cette espèce que j'ai absorbé de ma vie... Pierre, c'est aussi la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre de Beethoven qu'il m'a fait découvrir et largement préférer à la 9e symphonie qu'elle annonce......."

Voilà définie l'atmosphère de Beaumont!

Je termine ici d'écrire : Nous avons chacun nos souvenirs de ces années ou de ce qu'on nous en a dit.

Sur la page suivante, intitulée le "Paniers de petits chats" on retrouvera peu à peu (travail de longue haleine...) un choix de photos de ces années à Beaumont puis à Caen, et à Carolles (toutes les anciennes photos prises à Neuvy sont sur la page correspondante : "Bois-Réaux : au rendez-vous des souvenirs").

Ces photos appellent les commentaires de chacun !

suite:

"Paniers de petits chats"